Il fallait bien que je m'attaque un jour à la discographie de Misanthrope, groupe à la fois porté en très haute estime par nombre d'amateurs de metal extrême et de musiciens de la scène française, mais aussi mal aimé et peu compris d'une bonne partie d'entre eux. Loin de moi l'idée d'essayer de convertir les sceptiques à la cause, les groupes à forte personnalité ont toujours fait l'objet d'autant de passions que de rejets déraisonnés, et après avoir essayé de sauver Ikea de ses tendances de néo-rebelle/crypto-hippie en lui faisant écouter des discours de George Pompidou pendant qu'il dormait, j'ai décidé de délaisser les causes perdues. En 1993, à la sortie de
Variation On Inductive Theories, Misanthrope existe depuis presque un lustre, écume l'underground francilien et, après deux démos, a sorti un split avec Torturer qui fait aujourd'hui figure d'objet de collection tant il est difficile à trouver. Ce n'est qu'à partir de ce moment que le duo « historique » de Misanthrope prendra forme, avec donc le fondateur Philippe Courtois de L'Argilière (pas encore S.A.S.) qui démarchera tout Krakkbrain (groupe qui splittera après le très bon
Innercut peu après) : le bassiste de génie Jean-Jacques Moréac qui deviendra le second pilier du groupe, mais également son frère Charles-Henry Moréac à la guitare et Ollivier Gaubert à la batterie qui ne resteront que pour
Totem Taboo. Un an plus tôt, Philippe a co-fondé avec Séverine, devenue graphiste attitrée de Misanthrope, le fameux label Holy Records, qui signera vite quelques pointures de l'époque, comme Septic Flesh, Orphaned Land, Elend et, dès le départ, Nightfall, ne laissant à ce premier album des Français que le Holy02CD. Du beau monde au milieu duquel Misanthrope figurera pendant plusieurs années, lui permettant d'acquérir gloire et renommée en dehors des frontières d'un Hexagone qui mettra du temps à apprécier la musique du plus inventif et raffiné des groupes de metal français. Pourtant en France on n'a pas de pétrole, mais on a beaucoup de groupes inventifs et originaux. Et Gojira, aussi.
Ce nouveau visage de Misanthrope naît donc de la rencontre de Philippe, fan de Suédoiseries d'alors aussi bien que de Celtic Frost et King Diamond, et de Jean-Jacques, qui était plus fan de death américain, car c'est un homme de goût. Et si j'ai toujours eu toutes les peines du monde à décrire le style « metal-avantgardiste » du groupe qui change d'un album à l'autre, ce
Variation On Inductive Theories pose moins de problèmes, puisqu'il laisse clairement transparaître ses racines doom/death à la Paradise Lost et My Dying Bride, tout en incluant des riffs très rock, et d'autres nettement death metal. Misanthrope n'a pas encore la folie virevoltante de la fin des années 90, ni l'efficacité mélodique de ses derniers albums, et c'est sans surprise que ce premier essai s'avère être l'album le plus faible du groupe, bien qu'il demeure tout de même une œuvre très honnête, avec de très bons riffs qui laissaient présager des jours merveilleux à venir. Pour un album fait en quelques mois même la production n'a pas trop mal vieilli, et il ne suffira de rien de plus qu'augmenter un peu le volume pour revenir à des standards habituels. Certes, le son des instruments est indubitablement daté et on est loin de la qualité des productions du Morrissound d'alors, mais la clarté de l'ensemble permet d'entendre chaque instrument en permanence, y compris cette merveilleuse basse, claquante et omniprésente, qui se verra même gratifiée d'un solo sur « And Also The Lotus ».
Le jeu du sieur Moréac sera d'ailleurs sans doute le seul élément que les auditeurs du Misanthrope post
Visionnaire pourront identifier immédiatement, puisque le style du groupe n'était pas encore arrivé à maturation, demeurant encore un peu trop sage à défaut d'être conventionnel. Même le chant si personnel de S.A.S. – que l'on trouvera généralement excellent ou affreux, sans juste milieu – n'avait pas encore ses accents agressifs et éraillés, seulement l'accent français. On retrouve pourtant déjà le chant plaintif, comme sur l'intro à « Aquarium » qu'est « Solstice Poetries », et toutes les intonations vocales qui contribuent à rendre le style de Misanthrope unique, mais ce premier album demeure le moins original de son histoire, alors que l'originalité est le leitmotiv du groupe. C'est flagrant sur le début trop rock de « My Black Soul », pourtant le meilleur titre de l'album passée son introduction qui sent la brillantine, avec sa très belle progression lors de la deuxième minute, ou son riff très Misanthropien au début de la troisième minute.
C'est d'ailleurs tout l'album qui sent un peu trop le rock, avec beaucoup de phrases constituées uniquement d'accords trop classiques, et si l'on sent poindre une grosse dose d'inventivité derrière cette facilité, Misanthrope n'avait pas tout à fait la verve qui sera son étendard dès
1666... Theatre Bizarre, ni la justesse constante de ses mélodies inimitables. Le début de « Childhood Memories » en est symptomatique, ses quelques accords ronflants sont sans doute ce que Misanthrope a fait de moins bon, même si on pardonnera sans mal ces quelques errements de jeunesse étant donné que le reste de l'album demeure plutôt bon. Sans atteindre des sommets d'extase, de très bons riffs estampillés De L'Argilière le parsèment, comme la troisième minute de « La Démiurge », le final de « Atlas » et surtout la deuxième minute de « And Also The Lotus », qui s’accommodent de que quelques riffs purement death metal comme au milieu de « The Grey Orchad ». Ce fait cruellement défaut à
Variation On Inductive Theories, et qui commencera à être corrigé sur les titres les plus récents de
Miracles : Totem Taboo, c'est l'effort de composition sur tous les arrangements qui feront plus tard la force du style foisonnant de Misanthrope ; une absence qui fait parfois sonner ce premier essai comme le riff d'intro de « L’Écume des Chouans » sans guitare lead. Ce doit également être le seul album sans claviers du groupe, et S.A.S., qui à l'époque composait encore tout à l'exception de quelques détails, délaissera heureusement tout l'aspect rock de ses premières compositions et ne conservera très vite que les bons aspects de Celtic Frost, Entombed en consorts, en rangeant le simplisme au placard, pour ne préserver que l'essence mélodique et énergique de son style.
Seul album de Misanthrope auquel je pourrai coller une étiquette aussi claire que doom/death, puisque
Miracle : Totem Taboo n'est pas un véritable album,
Variation On Inductive Theories n'a ni l'originalité ni la folie douce de ses successeurs mais demeure malgré tout un essai convainquant, témoignage d'une époque de Misanthrope certes révolue mais qui présentait déjà un intérêt certain. Bien qu'assez inégal, il mérite l'écoute pour les seuls « Aquarium », « La Démiurge », « My Black Soul » et « And Also The Lotus », voire l'achat si vous avez une âme de collectionneur, car il est depuis longtemps épuisé, et je ne vendrai pas mon exemplaire même à prix d'or. Il n'a d'ailleurs jamais réédité par Holy Records alors qu'il se marchande à bon prix sur la toile, signe qu'il mériterait sans doute une réédition aux côtés de
Miracles : Totem Taboo, surtout à l'heure où Misanthrope s'apprête à sortir d'un long silence de cinq ans, qui a sans doute un peu précité le groupe dans l'oubli auprès de la jeune génération, alors que cinq albums et deux compilations s'étaient frénétiquement succédé entre 1993 et 2000. Moi qui avais trouvé le temps long entre
Immortel et
Sadistic Sex Daemon, je vais accueillir
Ænigma Mystica comme il se doit : avec le regard circonspect du fan frustré d'une trop longue attente, mais heureux de retrouver l'être aimé après une trop longue attente. Misanthrope pourra t-il me décevoir ? La réponse au neuvième épisode. Oui, j'ai tout le reste de la discographie, à l'exception des deux derniers albums, à chroniquer avant ma bonne dame, je vous laisse donc ce sur ce gros cliffhanger. Même pas peur.
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