En cette fin d'année 1998, Misanthrope entame la période la plus faste de sa carrière d'aujourd'hui presque vingt-cinq ans. Jouissant de la réputation flatteuse du parfait
Visionnaire, la bande à S.A.S trouve enfin avec
Libertine Humiliations un succès commercial important, pas franchement étranger au fait que la presse fasse largement écho aux nombreuses sorties des œuvres du groupe (faisant même une
couverture de sampler), mais qui s'explique surtout par des concerts qui se multiplient enfin et permettent de se rendre compte de la qualité des ces excellents musiciens aussi bien que de leurs compositions, qui ne le sont pas moins, ainsi que de leur accessibilité en vrai, loin de l'image sophistiquée des magazines. Un contraste saisissant avec un discours médiatique singulier et une esthétique légèrement excentrique à base de chemises à jabots et autres apparats nobles qui nuiront peut être à leur image auprès du public le plus jeune, pour lequel le metal est synonyme de rébellion et rébellion synonyme de jeans baggy (on est à la fin du XXe siècle) et d'hygiène douteuse. Mais c'est ce côté original qui attirera mon œil puis mon oreille sur Misanthrope, que je découvrais alors avec l'excellent « Misanthrope Necromancer » dans les sample de plusieurs magazines metal, voyant au passage ce qui semblait être la grande popularité du groupe d'après les sondages des lecteurs qui leur étaient largement favorables. De retour au Fredman où ils prendront un peu plus de temps pour enregistrer qu'en hiver 1997, et où Jean-Jacques Moréac sera le principal artisan de la production, les quatre musiciens ne prendront apparemment pas du bon temps pour autant, S.A.S évoquant même des semaines très éprouvantes. Sans Sergio Cruz mais avec (enfin!) un batteur récurrent en Alexis Phélipot, Misanthrope devient suffisamment bien armé pour sortir un album dont l'efficacité rendrait justice à la hargne de leurs prestations live, le très bon
Libertine Humiliations.
Si monsieur de l'Argilière joue encore de la guitare sur l'album, il abandonnera l'instrument sur scène, ne conservant que le micro et ses lunettes noires pour se concentrer sur le chant, avant de laisser un second guitariste prendre le poste sur
Misanthrope Immortel. Selon ses propres dires, « c'est Jean-Jacques Moréac et Jean-Baptiste Boitel avec lesquels j'avais fait un pari stupide qui ont gagné. J'ai gagné le droit d'appeler notre quatrième album « Humiliation Libertines » ce qui semble-t-il à l'époque les dérangeait véritablement...mais j'ai perdu le droit de jouer de la guitare sur scène. » (
interview 2008, Thrashocore, on ne fait pas les choses à moitié ici non mais).Cette anecdote, trop absurde pour ne pas être véridique, illustre parfaitement le malaise que peut déclencher certains sujets pourtant récurrents dans l'imagerie de Misanthrope même sur les membres du groupe.
Libertine Humiliations sonne certes bien à l'oreille, mais c'est un peu moins classe que l’Écume des Chouans, et renvoie une image du groupe sans doute trop parcellaire, Misanthrope ne se résumant pas, loin de là, qu'à quelques fantaisies verbales et scéniques. C'est pourtant sans doute pour incarner le personnage de S.A.S dans toute son excentricité que Philippe délaissera la guitare, lui permettant ainsi d'incarner un véritable frontman, haranguant la foule et sabrant le champagne à leur nez pour qu'ils se fassent arrêter par la maréchaussée en rentrant chez eux.
Si tout le groupe adoptera un look étudié avec parcimonie et que l'imagerie de Misanthrope se fera de plus en plus pesante sur la musique en envahissant les paroles (« Misanthrope Necromancer » et son discret « Is it you S.A.S de l'Argilière ? » qui en feront aux yeux de certains un groupe où le chanteur arrivera à parler de lui-même dans un titre d'ouverture), c'est surtout la musique qui évoluera vers une efficacité grandissante, plus à même d'atteindre un large public. Avec le départ de Sergio Cruz c'est Jean Baptiste Boitel qui se chargera de composer les lignes de claviers, qui sans surprise retrouveront un rôle exclusif d'accompagnement, en n'apportant que quelques mélodies supplémentaires pour laisser les guitares mener la danse, le tout avec un son typé années 80 très éloigné de
Visionnaire, où les claviers ressemblaient parfois à un véritable piano. Si les claviers sont donc moins audacieux et moins riches, ils n'en remplissent pas moins parfaitement leur office, comme sur le formidable « l’Écume des Chouans » où ils rehaussent d'une mélodie aérienne un duo de guitare absolument sublime qui fait de ce titre l'un des tous meilleurs de l'histoire de Misanthrope. Tout comme « Matador de l'Art Extrême », seul titre composé collégialement et qui dans son superbe raffinement est l'autre joyeux de ce quatrième album, il possède l'un des meilleurs textes écrits par S.A.S, et il tranche avec le reste des compositions, bien plus vindicatives et tournées vers une efficacité immédiate. Car tout le reste ne cherche ni la surprise ni la complexité, depuis un « Crisis Of Soul » repris de la deuxième démo du groupe et largement remis au goût du jour, jusqu'à un « Combattant sans Sépulture » que je ne peux m’empêcher de trouver un peu trop basique malgré sa très belle guitare lead et quelques excellents riffs. Misanthrope se calibre à la mode d'alors, entre les belles mélodies d'un heavy metal en pleine effervescence (avec le mouvement du true metal) et la simplicité des mélodies du death mélodique suédois qui fonctionne à plein régime, mais le fait assez intelligemment pour ne perdre ni en personnalité ni en qualité.
Certes, sans la folie ni la spontanéité d'un
Visionnaire bien plus varié et aventureux,
Libertine Humiliations ne tient pas la comparaison avec son aîné et a dû faire quelques déçus en son temps, car il est vrai que Misanthrope ne retrouvera jamais cet éclat inventif d'un génie incroyable. N'allez pas pour autant penser que ce quatrième album soit décevant ! Grâce à son sens du riffing, ses mélodies reconnaissables entre mille et un S.A.S qui délivre une nouvelle prestation phénoménale,
Libertine Humiliations demeure un excellent album, sans réelle faiblesse même si les quatre premiers titres et l'éponyme semblent tout de même un cran au-dessus des autres. Malgré cette relative rentrée dans le rang (le style restant très original), Misanthrope conserve tout son intérêt, et arrive à conquérir habilement un nouveau public en proposant une musique plus cohérente car recentrée autour de quelques riffs marquants. Il manque sans doute un bon mid-tempo pour qu'il soit plus varié, et plus de duels de solos guitare/basse comme sur « Libertine Humiliations » pour arriver au niveau de
Misanthrope Immortel, mais ce quatrième album demeure un des incontournables du groupe. Même en étant l'album le plus efficace de Misanthrope, ses mélodies subjuguent, et il évite l'écueil de la linéarité dans lequel il aurait pu facilement tomber grâce à une qualité constante et quelques nouvelles perles mélodiques.
Tournant majeur dans l'histoire de Misanthrope,
Libertine Humiliations marque le début du retrait de S.A.S sur la direction musicale, laissant place à Jean-Jacques Moréac et Jean-Baptiste Boitel qui imprimerons à la musique du groupe un tournant bien plus accessible. Sans l'inventivité flamboyante de ses deux précédents albums, Misanthrope ne peine pourtant pas à convaincre, et rencontrera un gros succès, confirmé par un
Misanthrope Immortel encore plus heavy metal et grand public. Disponible à prix raisonnable, cet album est une introduction parfaite au style de ces musiciens inspirés, et ce n'est pas un hasard s'ils arrivèrent dans la foulée à se greffer sur de grosses affiches, en particulier aux côtés de Cradle Of Filth pour remplir l’Élysée Montmartre, avant d'être en tête d'affiche et de la remplir par eux-mêmes deux ans plus tard. Avant la scène black metal fourmillante et avant l'apparition du modern-death du milieu des années 2000, c'était Misanthrope qui succédait à Loudblast en tant que figure de proue de la scène metal extrême en France. Étrange époque où l'audace et l'inventivité étaient récompensées par le succès...
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