Le hardcore a souvent la mauvaise réputation d’un style se complaisant à reprendre les mêmes codes et méthodes musicales ad nauseam, portant des groupes peu originaux qui participent à la sclérose ambiante en se contentant d’appliquer strictement la recette ayant fait le succès de leurs aînés. Même s’il est triste de constater que cette réputation n’est pas injustifiée pour beaucoup de groupes récents, il ne faut pas désespérer et se laisser noyer dans le flot de sorties provoquant aussi peu l’enthousiasme les unes que les autres. Au contraire il en va d’un devoir de salubrité auditive de découvrir et s’intéresser à des groupes présentant une identité forte et originale – dans la mesure du possible – qui leur permet de se distinguer de la masse.
Et bien parmi ceux souhaitant montrer qu’il est toujours possible de faire de la musique sortant des sentiers battus, il faut compter avec les Californiens de Twitching Tongues qui tirent leur nom d’un titre de Only Living Witness – troupe de Boston des années 90 qui pratiquait un metal plus ou moins alternatif, associée au hardcore – qu’ils décrivent comme une de leurs influences majeures. Dans le cas de nos jeunes amis de Los Angeles on trouve plutôt l’association inverse : du hardcore fortement influencé par le metal et la preuve en est d’autant plus flagrante sur ce nouvel album au titre plutôt libertaire qu’est
In Love There Is No Law. Là où leur premier longue durée
Sleep Therapy jouait une carte plus frontale (encore sur le cul de « I Fell From Grace Feet First » ?), ce nouvel album nous offre maintenant une véritable fresque dépeignant la diversité des couleurs musicales sur la palette des frères Young, véritables têtes pensantes du groupe. Après deux ans d’attente et l’EP
Preacher Man qui augurait le meilleur à venir, j’espérais profiter d’un disque encore plus abouti et je ne suis définitivement pas déçu du résultat. En neuf titres et à peine 38 minutes Twitching Tongues passe en revue tout ce qui rend sa musique si sympathique et résume très bien ce que je pense être l’intérêt de ces petits gars : arriver à synthétiser et rassembler plusieurs influences différentes en un rendu final cohérent tout en gardant une efficacité redoutable.
Tout d’abord, le groupe a beau citer Type O Negative et poser à côté de la tombe de Peter Steele, il n’en reste pas moins qu’il joue avant tout une musique à la lourdeur implacable et en fait la démonstration d’entrée avec « Eyes Adjust ». Après une introduction dissonante, les tambours de guerre commencent leur travail et amènent une rythmique très musclée appuyée par le son de guitare qu’Entombed aurait voulu avoir s’il jouait du hardcore. D’ailleurs ce schéma « je te casse la gueule d’abord, on discutera après » est fortement apprécié par Twitching Tongues qui l’utilise quasiment de façon systématique au début de ses morceaux plus brutaux et ce depuis leur formation (écoutez « Astigmatism » ou « Distance Clause » sur
Sleep Therapy). Dans le cas présent, c’est sans exagération que je pense avoir trouvé en « Deliver Us To Devil » et « Feed Your Disease » deux des meilleures entames de titre que j’ai pu entendre jusqu’à présent tous genres confondus. On me dit dans l’oreillette que le riff du deuxième morceau sus-cité n’est qu’une vulgaire repompe de « Return From Chaos » des warlords anglais de Bolt Thrower. Soit, au moins Twitching Tongues se paye le luxe d’avoir du bon goût et rehausse l’original de sa petite touche perso qui le rend plus accrocheur pour ma part.
En parlant de Bolt Thrower, c’est aussi un nom qui revient souvent dans la bouche de notre jeune groupe de Los Angeles et ce n’est pas pour rien. Beaucoup plus que sur les disques précédents, les riffs appelant à la cavalcade guerrière dont les Anglais ont fait leur marque de fabrique sont omniprésents sur
In Love There Is No Law. Je vous laisse écouter « World War V » qui montre bien que Twitching Tongues à tout compris au death metal lâchant les tanks à l’assaut. C’est d’ailleurs une des forces de l’album de savoir varier l’angle d’attaque quand la formation passe en mode commando : contrairement à de nombreux collègues de hardcore qui se reposent sur leurs acquis – leurs gros biceps trop lourds pour être soulevés – ici on pratique le pédalage vitesse moyen V pour ne plus seulement enfoncer l’ennemi dans terre, mais aussi lui rouler dessus pour l’achever (la fin de « In Love There Is No Law »).
Cependant, la qualité des parties pour faire la bagarre ne doit en aucun cas occulter l’autre facette importante de Twitching Tongues. Quand on lui demande quelle place tient la mélodie dans le processus de composition de son groupe, Taylor Young répond en citant Peter Steele : « Any idiot can yell into a microphone, but it takes something else to sing », en voilà de sages paroles. Un autre disait « So practice what you preaaaach » et c’est bien ce que font les Californiens en proposant une gamme de morceaux portés sur l’émotion et la mélodie entre les raids violents, qui eux-mêmes conservent toujours une part mélodique. Nous avons le droit à « Good Luck » qui nous sert un Twitching Tongues partagé entre amour et haine autant dans la musique que les paroles chantées en chœur pendant les refrains : « Don’t you cry no more, don’t you ever worry about me again » ; ou à la jolie ballade « Departure » durant laquelle la voix envoûtante de Colin Young se mêle à celle d’une muse nommée Sara Love et dotée d’une tessiture angélique, jusqu’au climax arrache-cœur ; puis au titre de fin « Frigid » qui traîne la patte et sa peine, toujours en équilibre entre passages plaintifs et gros grondements pour expulser le mal-être. Ce n’est pas pour rien que les bonhommes se définissent en tant que « Massacrists of Melody » avec cette ambivalence « la Belle et la Bête » à la base de leur musique.
Encore une fois Twitching Tongues s’appuie sur un des éléments qui frappe immédiatement à l’écoute, c’est-à-dire la voix. Les frères Young ont tous deux hérités d’organes vocaux de types différents mais de qualité similaire. Alors que Taylor s’occupe des backing vocals avec sa voix monstrueusement grave mais intelligible (vous pouvez l’entendre chanter dans son autre groupe
Disgrace), Colin lui joue le rôle de l’esthète avec un timbre étonnement clair mais sachant se faire plus viril quand besoin est. Ce dernier évolue complètement à l'opposé des autres vocalistes de hardcore en tenant des notes assez hautes de façon plus que convaincante (mon dieu ce
« Preacher Man »), sauf peut-être au début du morceau titre où son placement donne parfois l’impression d’être hasardeux malgré les refrains donnant une très bonne idée de sa longueur de voix.
Enfin, la petite bande a un véritable don pour composer des tubes en puissance, le genre de morceaux qui font se dresser les poils et monter la testostérone au point où on n’a plus qu’une envie, celle de sauter sur nos potes et gueuler les refrains et les sing-alongs avec eux sans aucune honte ni retenue. Nous avions déjà expérimenté la chose avec
« Preacher Man » sur l’EP du même nom, titre que nous retrouvons sur ce longue durée car il est impossible de se lasser de ses entêtants « Who is this preacher man, and why ain’t he preaching no more ? » et de sa construction toute en montée en puissance. Les coquins nous refont le coup avec « In Love There Is No Law » qui peut rebuter aux premiers abords et paraître bancale – ça a été le cas pour moi malgré mon affection pour le groupe – mais qui s’avérera vite imparable si on accroche à l’identité de Twitching Tongues. Des couplets calmes à base de roulements plus guitare qui grattouille gentiment, une voix posée qui s’élève progressivement et lance un refrain choral puissant, avant de donner sur une partie ultra lourde et plombée, puis sur la chevauchée finale à la double pédale soutenue par un chant plus perché que jamais. Comment faire un super titre en un claquement de doigts.
Voilà encore un tour de force réussi par Twitching Tongues, qui malgré le jeune âge de ses membres arrive à nous pondre un second longue durée complet et jouant sur tous les tableaux. Il est fréquent que des groupes ayant fait forte impression avec leurs premières sorties se vautrent sur ce qu’on appelle communément « le syndrome du deuxième album » mais ce n’est pas le cas ici, les Californiens allant encore plus loin dans l’affirmation de leur style très personnel. Certains me diront que la prétendue originalité que je leur attribue n’est qu’un château de sable bâti sur le vent des gloires passées, à qui ils piqueraient tout. Je leur répondrai que l’originalité ne tient pas forcément que de la création pure mais aussi de l’interprétation que l’on fait de ce qui a déjà été créé. Certes vous trouverez des groupes qui ont le son de, ou qui utilisent des gimmicks retrouvables chez Twitching Tongues, car ils ne cachent absolument pas leur obédience à certains grands noms. En revanche vous pouvez vous lever tôt pour trouver d’autres formations qui composent avec tout ça comme l’équipe de Los Angeles, que ce soit dans le hardcore ou le metal. Toutes considérations de genre mises à part, tout orgueil mal placé concernant la bâtardise de leur musique rangé de côté, voilà pourquoi mon amour envers Twitching Tongues ne se plie à aucune loi.
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