Turnstile - Step 2 Rhythm
Chronique
Turnstile Step 2 Rhythm (EP)
Nous vivons une foutue époque. Une partie de la jeunesse est désabusée, elle tombe dans la délinquance, la drogue et les putes. Elle se vêtit tout de noir, arbore des tatouages effrayants de la tête aux pieds, laisse pousser la barbe à n’en plus finir, et s’amuse à noircir la musique qu’elle pratique par toutes sortes d’influences sales et chaotiques. Se ruiner la gorge et cracher des souhaits de mort, voilà tout ce qu’elle sait faire. Heureusement, ce spleen des temps modernes n’a pas encore contaminé toute la nouvelle génération, et certains jeunes ont le cœur plus léger. A l’inverse, ces gens-là préfèrent voir la vie sous un meilleur jour et en profiter de façon plus saine. Pour représenter leur état d’esprit positif, ils portent des shorts et débardeurs de couleurs pétantes, se coiffent bien et se rasent de près, puis le soir venu, ils se la donnent sur le dance floor pour oublier tous leurs soucis.
Venant de Baltimore, les petits gars de Turnstile sont la parfaite incarnation de la deuxième catégorie et le titre de leur deuxième EP est plutôt évocateur quant à la musique qu’il contient. Step 2 Rhythm, en trois mots tout est dit, et si de base la pochette ne vous donne pas envie de peaufiner votre two-step, attendez un peu que le son débarque pour vous convaincre que le rose et le vert sont synonymes de grosse teuf. Ce que nous propose Turnstile musicalement est à l’image de son nom : un tourbillon de vibe groovy as fuck qui vous transformerait le plus rigide des tough guys en tourniquet humain. Déjà que leur première sortie Pressure To Succeed démontrait la capacité du groupe à pondre des parties incitant irrésistiblement à balancer son corps dans tous les sens, cette fois-ci le niveau est encore monté d’un cran car la personnalité s’est affinée sur plusieurs points. On garde toujours la même recette mais tout est mieux fait et paraît plus spontané.
L’introduction « 7 » annonce d’entrée la couleur, avec une alternance entre passages mélodiques qui feraient penser à un générique d’ouverture d’un dessin animé plutôt old school se déroulant dans l’espace (quand je vous disais qu’on est joyeux), et d’autres plus typiques du hardcore présentant des riffs directs, amenant le côté catchy. Pour la suite des évènements, tout repose sur une parfaite balance entre mosh parts assez lourdingues pour danseurs tendance faignants – néanmoins pas dénuées d’intérêt car toujours utilisées avec parcimonie et amenant de la variation rythmique – comme sur « Pushing Me Away », et accélérations rageuses (« Keep It Moving » ou « Better Way ») qui donneront envie aux plus inspirés de tenter des mouvements innovants sur la piste, pour s’accorder avec la décontraction portée par le feeling fun de la musique. Ces mecs-là envoient du hardcore bouge-boule de première classe l’air de rien et donnent l’impression d’être simplement en train de taper un trip entre potes.
Pour comprendre comment Turnstile porte l’énergie et le groove à un niveau supérieur, il faut prêter une oreille attentive à la base rythmique. Le bassiste – qui comme par hasard est black – mène tranquillement sa petite affaire et accompagne très bien le tamtam, même si sa prestation est moins mise en avant que sur l’EP précédent. Et puis surtout, la grosse mention spéciale du disque revient au batteur très inspiré et possédant un jeu nuancé. Il appuie fort sur les temps quand il faut soutenir les riffs qui font hocher de la tête (« Keep It Moving » ou « Canned Heat »), mais il nous gratifie aussi de purs moments de finesse comme au début de « Pushing Me Away » qu’il rythme par un travail soigné sur le charley, de même que pendant le dernier morceau sur lequel il participe activement au feeling très dansant qui caractérise Turnstile, avec un placement qui titille les guiboles. Impossible de ne pas se faire attraper par les patterns foutrement groovy et les breaks à la fois simples mais accrocheurs disséminés sur Step 2 Rhythm.
L’ensemble instrumental de Turnstile est emmené par le chant de Brendan Yates surprenamment clair et envoutant (le refrain de « Keep It Moving ») qui captive à chaque ligne, à tel point que son phrasé, son placement et ses intonations jouant sur le contretemps, me font le rapprocher de ce qu’on peut trouver dans le hip-hop. Si en plus vous pimentez le tout par des « yeah », « ough » et divers « woooooow » ça et là pour lancer les refrains ou mettre en avant les transitions entre les parties, il devient indiscutable que la qualité de son chanteur est un point important jouant en faveur de Turnstile. Le bonhomme est aussi doué au fond de la scène derrière sa batterie chez Trapped Under Ice, que devant la foule qu’il transcende par son énergie communicative et ses gesticulations délirantes (d'ailleurs, je vous conseille de regarder ce que ça donne en live, ça part dans tous les sens et c'est la grosse marrade en perspective).
Un autre élément sur lequel il faut se pencher est le rendu global de l’EP. La production est pour beaucoup dans l’évolution positive de Turnstile, car le groupe a troqué celle très bodybuildée de Pressure To Succeed au profit d’une autre bien plus naturelle, qui laisse mieux respirer les guitares et éclaircit le son de batterie. En revanche comme je le précisais ci-dessus, on peut regretter que la basse souffre de ce changement qui la place en retrait par rapport au disque précédent (et Dieu sait à quel point elle était audible et jouissive). Turnstile a de plus quelque peu gommé ses influences venant du NYHC et du hardcore plus musclé, pour nous montrer qu’ils savent aussi faire des riffs bien à eux, comme sur « Snaked », le solo de « Pushing Me Away » ou « Step To Rhythm » qui présente une fin tout en douceur assez originale vu le style joué ; de même que le tout premier morceau et son ambiance décalée. La voix elle aussi se montre plus inspirée dans l’ensemble, que ce soit avec des refrains chantés en clair, ou plus d’ouverture mélodique sur certaines parties ; pas de gros brailleur élevé au gravier ici, donc.
Cette jeune bande a définitivement « step up son game » si vous me permettez le franglicisme, car il est bien question de « step » avec le très gros groove sur Step 2 Rhythm, tout autant que de « game » car Turnstile s’amuse et ça s’entend. Ce n’est rien d’autre qu’une bande de Zoulous qui portent des sapes à motif Boubou pour avoir l’air djeunz quand ils se retrouvent pour danser au son d’un jam de bongos et autres djembés. Après tout, les mecs affichent le blaze « Turnstile Tribe », ben voilà les coreux de la Savane qui se trémoussent en rythme sur de la musique traditionnelle urbaine. N’ayez pas peur de faire de même, c’est le meilleur moyen de rentrer dans cet EP et sa bonne humeur, qui de toute façon se propagera aussi facilement que le sida en Afrique. Une chance que la tribu Turnstile vienne d’un coin moins propice au décès, car elle est le porte-parole de la nouvelle génération hardcore qui réclame son droit à l’éclate, alors j’attends impatiemment la prochaine manif et serai en tête de cortège le moment venu. En attendant, je retourne à des occupations moins sérieuses et m'en vais danser comme un débile, parce qu’il faut bien s’amuser de temps en temps.
| KPM 11 Novembre 2013 - 2394 lectures |
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