Si dans la vie de tous les jours, on tend à célébrer avec davantage d’enthousiasme et de ferveur chaque nouvelle dizaine d’années (10, 20, 30, 40 – après on arrête de compter), chez les chroniqueurs on compte plutôt par centaine. Du coup, lorsqu’un cap de ce genre est franchi, c’est souvent l’occasion de revenir sur un album qui nous tient particulièrement à cœur histoire de tout simplement marquer le coup. A l’occasion de ma 500ième chronique pour Thrashocore depuis mon intégration en juin 2011, j’ai pensé qu’il serait de bon ton de fêter cette petite victoire du nombre avec la chronique d’un album majeur ayant marqué durablement les esprits des amateurs de Hardcore. Et pour cela, pas besoin d’aller chercher bien loin puisqu’en France on a quand même l’un des groupes les plus respectés au monde en la matière (mais aussi probablement l’un des seuls connus à l’étranger). Certes,
Cornered n’est pas mon album préféré de Kickback (difficile de détrôner le terrible
Forever War) mais c’est bien avec celui-ci que j’ai découvert le groupe à l’époque. Il me semblait donc tout à fait légitime de lui rendre un semblant d’hommage à travers ces quelques lignes.
Si tout le monde connait aujourd’hui Kickback, je vais quand même profiter de cette chronique pour planter à nouveau le décor. Le groupe qui tire son nom d’une chanson des new-yorkais de Breakdown se forme à Paris en 1991 à l’initiative de Stephen Bessac. Très vite, Kickback va sortir sa toute première démo intitulée
The Meaning Of Pain. Elle sera suivie en 1992 par la sortie du EP
No One Gets Out Alive sur le label parisien Inner Rage (Fury Of V, Starkweather, Overcast...) mené par Jean-Marc Dablin (premier chanteur de Drowning). Si le groupe commence à faire parler de lui au sein de la scène Hardcore parisienne et hexagonale, il faudra néanmoins attendre 1995 pour le voir passer à l’étape suivante, celle de l’album. Produit par Jamie Locke qui a déjà travaillé à l’époque avec presque toute la scène Hardcore new-yorkaise (Leeway, Madball, Sick Of It All, Killing Time, Cro-Mags, Judge, Agnostic Front...),
Cornered sort sous la bannière d’Hostile Records, petit label français alors à cheval entre Rap (Ministère Amer), Fusion (Lofofora) et Hardcore (Kickback).
Vingt ans plus tard, ce que l’on retient bien évidemment en premier lieu de cet album c’est son artwork signé Tim Vigil. Une illustration en noir et blanc d’un Wolverine ultra agressif occupé à faire la peau à deux pauvres goules qui n’ont pas l’ombre d’une chance face à ce bon vieux Logan. Un Logan qui n’a probablement qu’une hâte, se retrouver en tête à tête avec cette plantureuse brunette déjà à moitié dénudée. L’autre chose qui m’a également marqué à la découverte de ce disque, c’est les liens de Kickback avec l’univers du tag et du graff et ce petit côté racaille complètement assumé qui transparait sur les photos du groupe. Je devais avoir quinze ou seize ans et pour moi faire du Hardcore (ou du Metal ou tout autre musique à base de guitares saturées) et porter casquettes, baskets et survêts me semblait complètement antinomique...
Mais c’est justement ce petit côté racaille qui fera une partie du charme des Parisiens dont le Hardcore ultra négatif va très vite s’opposer à toute cette vague de groupes estampillés PMA (Positive Mental Attitude). D’un point de vue strictement musical,
Cornered est cependant l’album de l’entre-deux. Les influences issues de la scène NYHC de la fin des années 80 (et tout début 90’s) sont encore extrêmement présentes. Que ce soit dans l’écriture beaucoup plus simple et stéréotypée, dans la dynamique générale bien plus directe ou même dans l’atmosphère moins sombre et désabusée que sur son successeur,
Cornered n’est encore le reflet que d’une petite partie de la personnalité des Parisiens. Une identité qui sera appelée à se développer bien davantage avec
Forever War et
Les 150 Passions Meurtrières.
Ainsi, le riffing de Boussad Lacheb et Patrick Vandewalle est encore en 1995 relativement simple et convenu. En dépit d’une production qui va conférer aux deux guitaristes un son très "Metal" pour un groupe de Hardcore, les riffs proposés par le duo demeurent encore assez sommaires (bien qu’efficaces dans la très grande majorité des cas) et même parfois un peu génériques (malgré de bonnes idées à l’image de ce solo (sur un disque de Hardcore) sur "Start Of The End"). Il en va de même pour la structure des compositions qui vont voir se succéder passages mid-tempo lourdingues et séquences plus rapides à l’esprit résolument Punk ("Struggling" à 0:22, les accélérations de "Bumrush", le début de "Pull Your Card", "Be My Guest" à 1:04...). A tout cela vient également s’ajouter de nombreux breaks ainsi que des chœurs bien virils typiques du genre ("Count Me Out", "Struggling", "Bumrush", "Be My Guest"...). Mais finalement, rien d’étonnant à tout cela car l’essentiel de ces titres a été composé dans la première moitié des années 90 à l’image de "Be My Guest" que l’on trouvait déjà sur la démo
The Meaning Of Pain sortie en 1991.
Après ces quelques lignes on pourrait croire que je n’apprécie pas ce premier album. Pourtant, et même si
Cornered est effectivement un premier jet plein de petites imperfections et qu’on lui préfèrera systématiquement son successeur, il reste assurément l’un des albums de Hardcore les plus réussis et efficaces que la scène hexagonale ait porté (d’ailleurs, rares étaient les albums complets à cette époque). Certes, il s’en est passé des choses depuis vingt-deux ans. Malgré tout, peu de groupes peuvent se vanter d’avoir eu autant d’impact (en France mais aussi et surtout à l’étranger) que les Parisiens de Kickback à l’époque de leurs deux premiers albums. Et si
Cornered n’est pas aussi abouti que
Forever War, il traduit néanmoins à la perfection ce qui se passait à une époque où la France se décidait à prendre le train en marche (groupes, associations, fanzines, émissions de radio, distro...), découvrant la musique Hardcore et tous ces groupes venus notamment de New-York ou de l’est américain.
De fait, tant pis si tous les riffs de
Cornered ne sont pas aussi ultimes que ceux de
Forever War, tant pis si la formule déployée à l’époque par Kickback paraît aujourd’hui un brin obsolète et tant pis si son Negative Harcore manque encore un peu de maturité car au final ce premier album possède une atmosphère incroyable que l’on doit pour beaucoup à la voix éraillée et revancharde d’un Stephen Bessac vicieux et plus futé qu’il n’y paraît. La musique des Parisiens pue ainsi les trottoirs plein de pisse, de merde et autres saloperies des quartiers alors pourries du 18ème arrondissement. On sent d’ors et déjà toute la rage et la rancœur d’un groupe qui n’en a rien à faire de tout et de tout le monde à commencer par une scène Hardcore française émasculée et beaucoup trop "posi" aux gouts de ces parigots mués par un sens de la provocation qui fera souvent mouche (je me souviens encore d’un :
"Kenavo les bouseux" en quittant la scène d’un petit festival Hardcore en banlieue rennaise en compagnie notamment d’Arkangel et Trapped In Life).
Vous l’aurez compris,
Cornered n’est pas mon album préféré de Kickback. Pourtant, celui-ci garde une place tout à fait particulière dans mon cœur car c’est celui avec lequel j’ai découvert la musique des Parisiens et l’un des premiers albums m’ayant accompagné dans ma découverte de la scène Hardcore à la fin de l’année 1995. Le cul entre deux chaises, quelque part entre le NYHC old school de la fin des années 80 et la nouvelle scène émergente beaucoup plus Metal, Kickback livre un premier album tout en nerf, déjà très sombre et qui jamais ne donne envie de sourire. Le disque peut sembler avoir vieillit, et c’est plutôt vrai surtout si on le compare à ce qui se fait aujourd’hui. Pourtant
Cornered n’en demeure pas moins un album ultra efficace dans son genre et surtout l’une des pierres angulaires du Hardcore français qui, quoi que l’on puisse penser de Kickback et de ses frasques, à largement contribué à façonner toute une jeune génération de Hardcore kids. Ici c'est Paris !
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