Parmi les chroniques les plus honteuses de l'histoire de Thrashocore, celles où un chroniqueur un peu perdu fut submergé par une intensité et une brutalité auxquelles il n'était pas préparé, il y a bien entendu celle de
Behind The Shadows Lie Madness par un Keyser qui trouve que Mithras blaste trop (vous avez le droit de rigoler), et bien sûr, celle plus compréhensible de
Echoes Of Decimation par un ex-chroniqueur de Thrasho qui devait aimer autant le brutal death que j'aime le néo-metal. Loin de moi l'idée de dénigrer son point de vue : ne pas aimer Origin quand on n'aime pas le brutal death technique, c'est absolument normal, et ce d'autant plus que ce troisième album d'Origin sera celui qui lancera la vague du brutal death technique en dehors des États-Unis, ouvrant la voie à un style qui sur les prémices de Suffocation et Cryptopsy se complexifiera en une scène que l'on connaît désormais très bien sur ce site. Il est logiquement difficile de reconnaître les albums précurseurs d'un nouveau style à leur sortie, et l'on peut les détester de bonne foi sans se douter que l'on se trouve en face d'un genre entier qui nous filera des boutons à l'avenir. Moi-même, à l'époque où j'avais encore un peu foi en la scène metal française, je suis tombé sur un groupe que les médias décrivaient comme du death metal mais dont les extraits m'ont fait m'écrier : « qu'est-ce que c'est que cette merde à mi-chemin entre
Roots de Sepultura et Machine Head ? ». L'extrait en question s'appelait « Love » et provenait d'un certain
Terra Incognita. Je ne me doutais pas encore de l'horreur qu'allaient être les cds sampler de la presse les années suivantes.
Car oui, on ne s'en est certes pas rendu compte à l'époque, moi pas plus que les autres, mais ce troisième album des Américains allait contribuer à lancer tout une vague de brutal death technique d'un genre bien particulier mais depuis maintes fois copiées, à base de gravity blasts sur fond de sweep à 260 bpm de moyenne. Certes, le brutal death blastait déjà à des tempos similaires depuis The Berzerker, parfois même pendant des durées admirables avec des groupes comme Internal Suffering – même si leur notion de la mise en place laissait quelque peu à désirer. Ces seulement vingt-six minutes d'une densité jamais égalée ont poussé l’extrémisme du brutal death dans de nouveaux retranchements, toujours d'actualité plus de huit ans plus tard. Record absolu ! Ouvrant la voie à des groupes comme Beneath The Massacre (pour le côté deathcore), Brain Drill (pour le côté technico-exhibitionniste) ou Lecherous Nocturne (un peu plus ambiancé),
Echoes Of Decimation a façonné dans sa lignée une nouvelle façon de penser le brutal death. Avant lui il y a eu les prémices du brutal death technique que l'on connaît aujourd'hui, avec une scène plus proche des canons du brutal death parmi lesquels on retiendra Suffocation, Cryptopsy ou plus récemment les premiers Decrepit Birth et Severed Savior qui avaient fait un peu parler d'eux. Et il y a bien sûr eu
Informis Infinitas Inhumanitas, moins célèbre que ses successeurs de ce côté de l'Atlantique puisqu'il a mis un peu de temps à nous parvenir, mais dont le riffing d'un mythique « Portal » annonçait parfaitement la complexification de ce
Echoes Of Decimation, quoiqu'il était globalement plus lent et plus brouillon que son successeur, donc logiquement moins percutant.
La radicalisation perceptible de ce troisième album d'Origin s'explique également par l'arrivée de James King à la batterie, qui aura remplacé John Longstreth le temps de ses infidélités avec Skinless, Dim Mak, Exhumed et Dying Fetus, et plus marginalement par le retour, en remplacement de Jeremy Turner, de Clint Appelhanz à la guitare qui, à l'instar de King, officie dans Unmerciful, où les tempos sont également inhumains. Le jeu de James King, plus précis et moins changeant que celui de Longstreth à l'époque, marquera pendant longtemps les esprits par sa netteté et sa densité, élevant le gravity blast et le martèlement de grosses caisses au rang d'art. Peu de batteurs peuvent se targuer d'avoir une pareille prestation à leur actif et l'on admire autant la performance physique que son admirable justesse artistique, tant elle est le support rythmique parfait à l'ire frénétique des trois cordistes furieux qui peuvent s'assurer que, malgré une longue ligne de sweep, le quota de brutalité est assuré derrière les fûts.
Echoes Of Decimation est un album d'une précision diabolique, et c'est là ce qui le rend si efficace. Qu'importe le nombre de notes jouées à la seconde (tant qu'on ne descend pas en dessous de seize), c'est la conjugaison de riffs, parfois simples mais toujours marquants, qui évoluent de manière intelligente comme sur « Cloning The Stillborn », avec un sentiment d'urgence et une déferlante de haine palpables, qui fait l'impact de ce très grand album de brutal death technique.
Notez que je dis bien « parfois simples », car si Origin conserve volontiers l'accroche du brutal death classique le temps d'un ou deux riffs, ce n'est que pour mieux amorcer un travail mélodique alors franchement atypique fait de montées aussi courtes qu'intenses et de palm mutes requérant un toucher diabolique, laissant place à peu près une fois par titre à un très long enchaînement de sweeps relevant bien souvent de l'injouable. Malgré son blast constant et son inégalable intensité, le groupe s'évertue à proposer d'excellentes mélodies, ne tombant jamais dans la facilité d'une succession d'accords syncopés qui pollue la scène dont il a su s'extraire à la force de son originalité.
Echoes Of Decimation ne ralentit guère que sur son titre éponyme, ne laissant que quelques secondes à un auditorat soufflé par ce mur sonore pour reprendre son souffle avant un sevrage définitif bien trop vite arrivé. Sans recherche mélodique complexe à la Spawn Of Possession, Origin s'inscrit néanmoins dans une branche du brutal death technique dont il était alors, pour peu de temps, l'un de seuls représentants : celle des gros bourrins réfléchis, qui blastent sans rien laisser au hasard ni à l'imprécision, style que les Américains ont vite requalifié en « blasting death », pour faire la distinction avec le pendant plus fin du brutal death technique à la Spawn of Possession ou Odious Mortem.
Et c'est sans doute cette volonté de complexifier par la vitesse plus que par des rythmiques ou des mélodies à tiroirs qui a fait la grande accessibilité et le succès de Origin. Loin d'être aussi clivant que peut le laisser penser son étiquette,
Echoes Of Decimation a réussi à réunir les amateurs de nombreux types de brutal death sous sa bannière en jouant la carte de l'extrémisme, et surtout en abandonnant les derniers aspects pouvant s'apparenter au grind qui pouvaient subsister au sein de ses compositions. L'énorme succès d'estime de Origin, outre une promotion de qualité et de nombreuses tournées à travers le monde qui s'en suivirent, s'explique surtout par la qualité des titres que le groupe a su proposer avec cet album, depuis l'assez classique et très marquant « Staring From The Abyss » jusqu'à un nettement plus complexe et changeant « Debased Humanity ». Que l'on aime le style d'Origin pour la puissance d'un « The Burner » dont le gravity blast de fin arrive encore à décrocher la mâchoire de n'importe qui, ou pour la méticulosité du final de « Cloning The Stillborn » qui est sans doute l'un moments les plus techniques de l'histoire du groupe, ce troisième opus des Américains est un incontournable du genre.
Certes,
Antithesis corrigera son principal défaut qu'est sa durée anémique de 26 minutes, deux de moins qu'un
Informis Infinitas Inhumanitas qui frustrait déjà en n'atteignant pas la demie-heure. Sur neuf titres, seuls quatre vont au delà de trois minutes, et ce sont logiquement les deux titres les plus lents, à savoir « Staring From The Abyss » et l'éponyme qui clôture l'album avec le seul véritable ralentissement de cette toute petite demi-heure, qui seront les plus longs, allant jusqu'à quatre minutes ! Si la sensation que certains titres s'arrêtent bien trop tôt, comme « Cloning The Stillborn », est malheureusement présente, leur faible durée s'explique aisément par la nécessité de les reproduire en live, car leur absence de temps mort, contrairement à la plupart des morceaux de
Informis Infinitas Inhumanitas et
Antithesis, les rend bien trop éprouvants même pour des musiciens sûr-entraînés. Tenir le 260 bpm en jouant quasiment toujours en doubles-croches pendant deux minutes est en soi un exploit que peu de monde peut reproduire sans risquer la tendinite, il est donc logique de retrouver des compositions très courtes pour assurer un rendu fidèle sur scène. Seulement il aurait fallu quatre ou cinq titres de plus pour compenser cette impression d'écouter un EP au lieu d'un véritable full-length.
Bien entendu, chacun trouvera à redire sur
Echoes Of Decimation, que l'on préfère l'aspect plus sombre de son prédécesseur ou la plus grande variété de son successeur, que l'on apprécie peu l'usage plus fréquent du sweep par Paul Ryan ou le gravity blast incessant de James King, il y a effectivement matière à redire tant ce troisième album d'Origin a une personnalité propre. Une personnalité qui se traduit par leur opus le plus brutal et furieux, mais aussi le plus mélodique, tranchant allègrement avec un
Informis Infinitas Inhumanitas plus classique et accessible – pour du brutal death, soyons clair – qui a encore aujourd'hui ses nostalgiques. La grande force d'Origin étant de combiner des mélodies marquantes et très accessibles avec une brutalité exacerbée qui confine à la prouesse technique, il est logique que les amateurs d'un brutal death US lent et convenu ne parviennent pas à accrocher à un groupe qui a su s'affranchir des codes de la scène dont il provient. Ce qui n'était qu'un petit groupe du Kansas au début des années 2000 s'est très vite fait un nom en sortant coup sur coup trois des albums les plus denses de l'histoire du metal extrême. Il y a certes eu des précurseurs dans l'ultra-brutalité, avec en tête de proue un The Berzerker dont le désormais mythique
Dissimulate atteignait déjà les 300 bpm (et qui a partagé une tournée aux États-Unis avec Origin), mais aucun album auparavant ne donnait à ce point l'impression d'accélérer des tempos déjà inhumains, comme sur un « Reciprocal » qui, aux côtés de « The Burner », a intelligemment servi de titre promotionnel en 2005. Et en ces temps où Thrashocore se met à chroniquer du post-rock (ouais, c'est honteux mais on n'est plus à ça près), il est bon de se rappeler que le metal extrême avait également quelques grands albums à nous offrir il y a quelques années. Alors si vous voulez retrouver la qualité des jeunes années de ce webzine et mettre fin à cette chienlit, votez oui à ma proposition de règlement qui imposera trois chroniques de death metal pour une de post-n'importe quoi . C'est fini la récréation les enfants, laissez les gens de goût reprendre les choses en main.
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