Rotting Christ - Non Serviam
Chronique
Rotting Christ Non Serviam
Après les horreurs que l’on nous a infligées il y a encore quelques semaines, il est bon de revenir à l’essentiel et, pour ainsi dire même, aux sources. Et quand je parle de sources, il est indubitable que lorsque j’entends parler de Non Serviam, je pense avant toute chose et presque exclusivement au deuxième album de Rotting Christ, et non pas à certains immondices. Paru en octobre mille neuf cent quatre vingt quatorze, il fait suite à un excellent premier album Thy Mighty Contract, sorti onze mois plus tôt, et installera assez aisément le groupe des frères Tolis au firmament de la scène black metal grecque, même s’il ne faut aucunement dénigrer, loin s’en faut, les premières réalisations de groupes tous aussi essentiels tels que Varathron ou bien encore Necromantia, pour ne prendre que les noms les plus ronflants alors pour ce qui est de la scène black metal hellène. Malheureusement pour Rotting Christ, ce disque a vu sa distribution plus que aléatoire, ce qui n’aida aucunement à sa diffusion, et est paru la même année que d’autres classiques du black metal tels que In the Nightside Eclipse, Frost, De Mystheris Dom Sathanas, Hvis Lyset Tar Oss, The Shadowthrone ou bien encore Transylvanian Hunger, pour n’en citer que quelques uns. Et pourtant, ce deuxième album des Grecs, enregistré dans leur propre studio, le fameux Storm Studio, mérite amplement ses lettres de noblesse.
Réduire Non Serviam comme étant l’une des plus belles définitions de ce qu’est le black metal grec d’appellation d’origine contrôlée ne serait aucunement lui faire injure tant il donne définitivement le ton pour ce qui est de l’essence même de cette variante géographique du black metal. Et si l’on devait faire une comparaison avec sa déclinaison scandinave, l’on pourra aisément dire qu’il est bien moins froid, mais, en contrepartie, est sans doute bien plus occulte dans son ambiance, et c’est sans doute la scène qui aura mieux repris à son compte l’héritage de deux premiers albums de Master’s Hammer. Cela constitue l’une des caractéristiques du black metal grec, mais il se différencie bien évidemment dans la manière d’être exécuté où l’on se rend compte que ce n’est pas la course aux blast beats que l’on a là, et en dehors du titre Fifth Illusion qui est le plus rapide de l’album, l’on a souvent des temporisations et majoritairement c’est plutôt mid tempo sur cet album. La manière d’exécuter les riffs n’est pas non plus la même que celle que Euronymous popularisera auprès de ses compères, puisque l’on a majoritairement des riffs joués en palm muting, technique plutôt héritée du thrash metal et l’on sent assez fréquemment ici les traces de ce genre, mais plutôt dans la manière de jouer que dans la trame musicale. Et, surtout, et c’est même encore plus flagrant pour ce Non Serviam par rapport à son prédécesseur, c’est l’influence du heavy metal qui se retrouve ici assez bien mise en exergue, avec notamment un côté mélodique vraiment prenant. Cette facette se décline surtout avec avec de très belles leads et, histoire d’être complet et surtout pour bien appuyer ce sens traditionaliste de la chose, des harmonisations comme cela se faisait dans les années quatre vingt dans ce style musical.
Évidemment, ces éléments cités ci-dessus pourraient tout aussi bien décrire Thy Mighty Contract ou bien encore His Majesty at the Swamp, mais ils caractérisent vraiment le mieux ce Non Serviam, surtout par cette mise en avant du travail mélodique des guitares. Mais au-delà de son aspect historique, il y a, avant toute chose, un album très bien fait et très bien exécuté de bout en bout, même si le son de batterie pourrait un peu rebuter les puristes. Rotting Christ décline ici son Art Noir mais sans mener une course effrénée sans queue, ni tête, et l’on sent bien l’évolution depuis son premier album. Cela se ressent bien évidemment dans ces compositions bien plus étoffées et où l’alternance de motifs se fait souvent en même temps que des changements de rythmes bienvenus. Car s’il y a bien une chose qui pourrait le mieux décrire ce Non Serviam, c’est qu’il est tout sauf linéaire. Et cela se retrouve sur des compositions souvent bien plus chiadées que ce que l’on pourrait croire en découvrant l’album. Il y a une réelle profondeur dans ces titres, même s’ils ne se départissent pas d’une certaine efficacité. C’est notamment le cas sur le très efficace Fifth Illusion, - une merveille d’ouverture d’album -, qui comporte une partie plus posée en son milieu et où Sakis Tolis s’en donne à coeur joie au niveau des soli. C’est d’ailleurs l’une des grosses nouveautés de cet album, et il comprend de nombreux passages où les aspérités mélodiques prennent vraiment les devants, donnant un côté tantôt épique, tantôt mystique, voire parfois nostalgique à l’ensemble, comme sur le final de Where Mortals Have No Pride. Il n’y a certes rien d’extravagant dans tout cela, mais c’est fait avec une telle sincérité que l’on se laisse facilement prendre au jeu.
Si les aspérités mélodiques sont mises en avant sur cet album, il ne faut pas pour autant oublier que l’on parle bien de black metal et que pas mal de passages demeurent assez rentre-dedans. Là encore, on ne peut que saluer le travail de riffing de Sakis Tolis, qui surprend encore écoute après écoute. Les exemples sont assez légions sur cet album et il y a une vraie osmose entre ces riffs, les mélodies, et l’aura que tout ceci dégage. Mais ce qui reste assez exceptionnel c’est qu’il y a sur chaque titre ce petit gimmick ou ce passage qui forcent le respect et qui restent entêtants, et que l’on est même surpris par quelques audaces, comme ce riff quasiment doom metal sur le début de Wolfera the Jackal. Ce d’autant que les compositions restent très bien écrites et que le chant assez écorché de Sakis Tolis vient compléter admirablement ce tableau. Et quand je parle d’une facette plus occulte que chez les groupes scandinaves, cela est renforcé ici par les interventions aux claviers de Magus Wampyr Daoloth, - membre à l’époque de Necromantia, entre autres -, et qui apporte cette touche mystique ou un peu médiévale à l’ensemble avec ses interventions parcimonieuses mais justes. Car c’est bien par son ambiance unique que ce Non Serviam se distingue des autres albums sus mentionnés sortis en cette même année, et l’on navigue ici dans quelque chose de bien plus cabalistique et de plus inquiétant. Évidemment, l’ambiance y est plus chaude, comme pour mieux dépeindre une certaine fournaise maléfique, mais les images de temples décrépits où se déroulent des séances d’offrandes et de sacrifices à des déités hideuses, telles que celles décrites par Howard ou Lovecraft, viennent aisément à l’esprit à l’écoute de cet album. C’est comme si l’on entrait dans des mondes caverneux et oubliés et où le Malin n’attendait plus que pour surgir et régner de nouveau. C’est bien tout cela qui ressort de ce Non Serviam.
Non Serviam est pour toutes ces raisons une excellente réalisation et constitue sans doute l’un des maîtres étalons pour toute une scène, il suffit de voir les traces qu’aura laissé cet album chez des formations telles que Caedes Cruenta ou bien Cult of Eibon, pour n’en citer que quelques unes récentes. Cet album n’a nullement perdu de sa superbe plus d’un quart de siècle après sa sortie et représente même une sorte de pinacle pour les Hellènes avant qu’ils ne prennent une facette bien plus mélodique, et, pour ainsi dire, moins virulentes, dès Triarchy of the Lost Lovers. Mais au-delà de ces considérations, Non Serviam reste tout de même une très belle œuvre de black metal mélodique, certes ancrée dans son époque, mais qui fascine toujours autant après tant d’années. En cela, son aspect culte n’est aucunement usurpé et cet album mérite bien sa place au panthéon du metal extrême. Il n’y a rien de superflu ici, juste neuf compositions qui s’enchaînent très bien pour notre grand plaisir et il y a surtout cette ambiance à la fois épique, menaçante et un peu enchanteresse qui en font une perle de black metal mélodique. L’on ne va pas toucher les mêmes cordes sensibles que pour d’autres œuvres sorties à la même époque, ici l’on a quelque chose de plus éthéré parfois, mais aussi de plus nostalgique, comme si l’on voulait mettre en vie certains récits du passé et, par la même occasion, réenchanter le monde en ne voulant pas servir un dieu unique, mais bien se révolter contre cela, - Non Serviam signifiant en latin je ne servirai pas -, et apporter une autre grille de lecture de ces mondes oubliés.
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