Allez savoir pourquoi, je me suis levé un matin avec une énorme envie de réécouter les albums de KEN Mode. Peut-être est-ce le climat morose actuel, les affiches joyeuses pour les fêtes de fin d’année en pleine pandémie, qui m’a poussé à me diriger de nouveau vers la discographie des Canadiens, pas les derniers en ce qui concerne le sarcasme. Ou peut-être est-ce simplement des envies d’exutoire plus classiques, la bande ayant toujours été un bon moyen de lâcher la pression quels que soient ses albums, pourtant tous différents les uns des autres.
Mais ce qui m’a décidé est clairement cette sensation d’irrésolu quand je pense à KEN Mode, ce groupe à la fois à-part et typique, monstrueux sur scène comme sur disque et qui, pourtant, ne dépasse jamais chez moi le statut de groupe « respectable ». Par association d’idées, c’est en premier lieu vers
Venerable que je me suis d’abord tourné, les souvenirs d’un longue-durée bourré de moments monumentaux mais aussi de quelques maladresses en tête.
Aujourd’hui, mon avis a un peu changé. Sans doute qu’à l’époque,
Venerable a été l’album de la consécration pour les Canadiens, après trois essais avec lesquels ils gagnèrent en maîtrise et succès d’estime. Il faut dire qu’il cochait toutes les bonnes cases : production signée Kurt Ballou, mastering de Alan Douches, layout de Josh Graham... et même un logo créé par Aaron Turner ! Presque une photographie d’époque, celle d’un hardcore devenu post, que les frères Matthewson et Chad Tremblay ont mêlé à leur amour du noise hardcore historique allant de Unsane à Botch, de Coalesce à Kiss It Goodbye.
Voilà ce qui prime désormais, après des années à avoir vu passer la vague retourner à la mer : cette sensation d’être face à une œuvre-somme, typique d’une époque aujourd’hui révolue.
Venerable, le temps faisant son travail, a acquis chez moi un sens nouveau, devenant un ancêtre (récent, je vous l’accorde) d’une manière de jouer qui n’a plus tant cours aujourd’hui. Un témoignage dont
Entrench sera la suite et fin, là où les précédents albums conservent pour eux une étrangeté particulière, une fuite vers autre chose. Ici, tout est calculé et perfectionné : impossible de ne pas se faire prendre par ce son râpeux, cette exécution pleine d’aigreur, marquant les jouissifs « Obeying the Iron Will... », « The Ugliest Happy You've Ever Seen » ou encore les Convergences « Book of Muscle » et « Batholith » (dont certains riffs rappellent ce que les créateurs de
No Heroes ont pu composer). KEN Mode chavire et fait chavirer, étalant un savoir-faire épatant dans la peinture d’une scène jusqu’à ses recoins les plus sombres, les rampantes « The Irate Jumbuck » et « Never Was » étouffant d’aplats de noirs entre les différentes salves furieuses de noise hardcore.
Ce qui explique qu’un des reproches courants faits à
Venerable est son assemblage de titres, auquel manque un sentiment de progression jusqu’à son final (l’énervé « Mako Shark » est un choix bien étrange dans ce rôle). Certains enchainements me questionnent toujours, comme le passage de la plage instrumentale et altière « Flight of the Echo Hawk » à la lourdeur sans contraste de « Never Was ». Seulement, l’impression d’entendre ici le résultat d’un trio de surdoués cherchant à donner une bande-son définitive à une certaine scène hardcore prend désormais le pas. Certes, s’arrêter à une vision de ce disque comme un manifeste est sans doute réducteur tant KEN Mode développe ici ce qui fait sa propre personnalité, à commencer par une façon bien à lui de sonner à la fois anguleux et percutant, un massacre fait à l’équerre, ainsi que des paroles pleines de rancœur et d’ironie (« The Ugliest Happy You've Ever Seen » ou encore l’antireligieux « Never Was » et son
« This is nothing more than a elaborate marketing campaign and a rather brilliant at that : praying on humanity’s insecurity of what it doesn’t understand »). Mais son retour vers lui a définitivement été marqué par cet étonnement a trouvé, des années après, tant de marqueurs d’un style qui manque parfois cruellement de nos jours.
Venerable n’est pas un disque parfait : trop dispersé, il donne l’impression de viser haut mais sans vision d’ensemble. Par contre, il est bien un disque iconique à sa propre manière, étrangement personnelle, faisant de lui une œuvre forte des Canadiens sans pour autant éclaircir le mystère de ce qui constitue leur talent indéniable. Clairement, je n’ai pas encore trouvé toutes mes réponses au sujet de ma fascination pour KEN Mode – et tant mieux quelque part, car ce qu’on attribue généralement, faute de mieux, au « charme » est aussi une grande part de ce qui fait le prix de la musique de ces mecs-là. Un album que, avec le temps, j’ai appris à vénérer.
Artwork de l’édition vinyle par Throatruiner
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