TOUM TOUM. TOUM TOUM.
La guerre psychique a éclaté. Le tambour qui la sonne descend jusqu'au tréfonds de mes entrailles. J'avale ma salive, mais je suis prêt. Vêtu de mon armure et de mon arsenal, j'emboîte le pas à Elric de Menilboné dans sa croisade contre Loc-Nar et ses infâmes Barbares. C'est un groupe américain aiguisant ses couteaux depuis 1967,
Blue Öyster Cult, qui guide notre traversée du multivers dans leur vaisseau marqué du sceau de Saturne. Durcissant peu à peu leur rock 'n roll, le faisant évoluer vers une mixture étrange entre proto-heavy metal et hard rock mystique, ils s'étaient fendus de sept albums en 1981. Ils ont rencontré un beau succès avec l'excellent
Tyranny And Mutation (1973) qui devient démentiel avec le tube intergalactique « (Don't Fear) The Reaper » sur l'album
Agents of Fortune (1976) et le carton « Godzilla » sur l'album suivant,
Spectres (1977) qui continuait à les déposer dans l'escarcelle des groupes qu'il faisait bon écouter. Certes, au crépuscule des années 70, les groupies affluaient un peu moins ;
Mirrors (1979) et
Cultösaurus Erectus (1980), malgré leurs qualités évidentes, ne parvenaient pas tout à fait à battre le fer de leurs précédentes sorties. Le second leur vaudra tout de même une tournée triomphale avec
Black Sabbath, le « Black and Blue Tour ». Le quintet décide de franchir le cap de la nouvelle décennie avec l'esprit revanchard, réincorporant à leur musique quelques ingrédients qui en faisaient le charme, notamment des synthétiseurs psychédéliques un peu délaissés sur le précédent full-length. Ils troquent leur approche expérimentale et jazzy (« Monsters ») et organique (« The Marshall Plan ») pour des motifs plus insidieux, destinés à flatter instantanément les oreilles.
Cette démarche fonctionne du feu de Dieu. Eric Bloom (voix, guitares), Donald « Buck Dharma » Roeser (voix), Allen Lanier (claviers) et leur section rythmique tenue par les frères Bouchard, Joe (basse) et Albert (batterie) ont acquis les automatismes des nombreuses années passées ensemble et charbonnent une dernière fois tous les cinq pour sortir un album commercial, destiné à exploser les charts. Ils y parviennent aisément avec le single « Burning For You », qui se classera dans le top 40 aux États-Unis et servira de locomotive pour un album qui finira disque de platine. Cette réussite totale permet à leur huitième full-length,
Fire of Unknown Origin de s'imposer comme une compilation astronomique de ce qui fait leur talent. C'est simple : il y a aucun morceau à jeter dans ce qui ressemble à l'album parfait, raffiné jusque dans son artwork qui illustre particulièrement bien le nom cryptique du groupe, la « Secte des huîtres bleues ». Les moines qui portent à bout de bras ces coquillages sacrés capturent l'auditeur pour ne plus le lâcher, dès le morceau-titre qui révèle le ton plus léger que
Blue Öyster Cult entend adopter ici. Il y a de quoi tomber dans ce piège pernicieux, fait de volutes de synthé rétro, de petites rythmiques sautillantes et d'une ribambelle d'accords de guitare accrocheurs qui ensorcellent totalement les esgourdes.
J'y plonge la tête la première. Cette magie mystérieuse est également catalysée par une production aux petits oignons, servant à la perfection le projet du groupe. Le solo aérien de « Sole Survivor », par exemple, est rendu surpuissant par cet ouvrage intemporel signé Martin Birch. Ce petit grain rétro propre à l'époque lui va à ravir, habillant ses sonorités d'une aura terriblement séduisante. Mieux que ça, même, il rend cet album très actuel, à tel point que plusieurs groupes en vogue d'aujourd'hui se sont clairement inspirés de cette touche subtile et atypique pour bâtir leur propre succès. Il faut tout de même rendre à César ce qui appartient à César :
Blue Öyster Cult n'avait fait que rehausser la subtilité de leurs compositions, leur ajoutant notamment des louches de synthétiseurs qui offrent un relief permanent à leurs riffs de guitares, allant même jusqu'à évoquer par moments
The Doors : en effet, leur inspiration de toujours transparaît plus que jamais ici, pour le meilleur. Ces petites miettes qu'ils saupoudrent sur un socle très solide, comme les violons admirablement dosés de « Veteran Of The Psychic Wars » ou les arrangements au piano de « Joan Crawford », font toute la différence. La facilité et la simplicité assassines que
Fire of Unknown Origin propulse sans cesse à la face de ses auditeurs le rend instantanément accrocheur, comme rarement un album peut l'être.
Tous les titres qui en émergent sonnent ainsi comme une évidence absolue : ce théorème s'applique au tube le plus accrocheur, « Burning For You », doté d'une ligne de basse supra-efficace et d'harmonies de guitare qui préparent le terrain pour les salves d'
Iron Maiden... mais aussi au plus bas-du-front « Heavy Metal : The Black And Silver » et son refrain totalement hymnesque : « Heavy Metal! Black and silver, falling matter of the sun... » Dans l'intervalle,
Blue Öyster Cult offre des instants de grâce absolu, comme l'énormissime « Sole Survivor » ou encore « After Dark » et son côté new wave carabiné, avec ses petites nappes de clavier mortelles qui transcendent une ligne de basse galopante. Cet instrument est particulièrement bien mis en valeur par cette production impeccable, qui n'a pas pris une ride et impulse des moments de groove incroyables, à l'image de la conclusion « Don't Turn Your Back ». Car
Fire of Unknown Origin est aussi un album incroyablement varié, qui ne s'enferme dans aucune case. Les voix polyphoniques qui le portent, assurées par Eric Bloom et Buck Dharma, secondés par les frères Bouchard, contribuent également à en faire un disque au feeling atypique, sur lequel le temps n'a aucune prise. Leurs tessitures naïves et insouciantes s'associent à la perfection aux claviers contemplatifs et subliment totalement la magie de l'instant.
Ses arcanes deviennent étincelantes, lorsque se matérialise la suite de la collaboration entre
Blue Öyster Cult et l'auteur de fantasy Michael Moorcock. Après « The Great Sun Jester » sur
Mirrors (1979) et « Black Blade » sur
Cultösaurus Erectus (1980), c'est le tube martial et gravitationnel de
Fire of Unknown Origin qui emporte tout sur son passage. On peut d'ailleurs l'entendre dans la bande originale du film d'animation de Gerald Potterton,
Métal hurlant, inspiré d'une revue américaine lancée à partir de celle de Jean-Pierre Dionnet qui comptait notamment dans ses rangs l'illustrateur Mœbius. « Veteran Of The Psychic Wars » grave dans l'inconscient ses tambours de guerre et de sa mélodie occulte et racée. Tout y respire la perfection, de sa rythmique écrasante secondée par ses volutes de claviers contemplatives à ses notes de guitare célestes qui laissent les chanteurs marteler le leitmotiv « Oh please, don't let theses shakes go on... », prière poignante de soldat traumatisé par la guerre. En tout cas, c'est un temps fort imparable de cet album autant qu'un tube inépuisable. Il fait office de carburant à une « machine à rêver » qui propulse un souffle épique durant quarante minutes éphémères.
« I have used up all my weapons
And I'm helpless and bereaved
Wounds are all I'm made of
Did I hear you say that this is victory ? »
Sont-ce là des paroles prémonitoires ? En tout cas,
Blue Öyster Cult livrait en 1981 l'album de rock ultime, tellement puissant qu'il marquait la fin d'un cycle. Leur batteur Albert Bouchard quitte le groupe dans la foulée, rejoint par son frère quelques années plus tard. C'est aussi le début du déclin pour un combo qui ne parviendra ni à stabiliser son line-up, ni à tutoyer à nouveau les sommets atteints par ce
Fire of Unknown Origin. À l'heure de son quarantième anniversaire, cet opus contribue tout de même à offrir à ses créateurs une image de groupe pionnier et même culte, ouvrant de nombreuses portes que d'autres ne tarderont pas à enfoncer. Quant à moi, laissé pantois par la perfection qui émane de leur meilleur album, je rend les armes.
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