Blind Guardian - The God Machine
Chronique
Blind Guardian The God Machine
La sortie d’un nouvel album de Blind Guardian reste un petit événement dans les sphères du metal, le groupe ayant su s’affirmer comme un des leaders du Power Metal depuis plus d’une trentaine d’années, avec des albums mémorables à la clef. Il a surtout pris l’habitude de prendre son temps entre chaque réalisation, voire de plus en plus, le précédent véritable album remontant tout de même à l’année deux mille quinze, l’assez complexe Beyond the Red Mirror, bien qu’entre temps il y eut aussi l’intermède Twilight Orchestra qui vit le jour en deux mille neuf, après vingt ans de gestation. Le groupe n’a pas pour autant chômé entre-temps, puisqu’il a aussi célébré le quart de siècle de Imaginations From the Other Side, et Hansi Kürch a aussi enregistré le troisième album de Demonds & Wizards, avant de finalement quitter le groupe, étant données les frasques de son désormais ancien acolyte. Le groupe, qui sait y faire avait toutefois un peu teasé ce The God Machine en proposant quelques extraits dès le mois de décembre de l’année dernière, afin de rassurer ses fans, et il faut dire qu’ils annonçaient des choses plaisantes. Le souci pour un groupe ayant déjà trente-cinq années d’activité, c’est qu’il n’a plus grand-chose à prouver, surtout que le genre semble avoir un petit regain de succès et d’activités, avec des jeunes pousses qui ont bien envie de détrôner le roi tout puissant. Et pourtant, il parvient toutefois à nous surprendre encore, ne serait-ce que par cette pochette d’album, aux traits bien plus modernes que tout ce qu’avait pu faire le groupe auparavant, et qui pouvait laisser croire à une formulation plus futuriste. Est-ce que les Allemands ont encore des choses à dire et à nous conter en cette année deux mille vingt-deux ?
La réponse va être par l’affirmative, mais peut-être pas dans le sens où l’on pouvait attendre Blind Guardian. Rassurez-vous, le groupe n’a pas du tout changé de style de musique, et il est toujours question de ce power metal dont il s’est fait le chantre depuis les années mille neuf cent quatre-vingt-dix. C’est d’ailleurs simple, l’on reconnait tout de suite le groupe dès les premiers accords de Deliver Us From Evil : les riffs toujours un peu alambiqués des guitaristes, le style musical, le chant toujours aussi bon de Hansi Kürch, les chœurs et tout ce qui fait le charme du groupe depuis Somewhere Far Beyond. Il y a toujours ce gros travail d’écriture et l’on n’a ici aucune composition bâclée, le quartet a toujours cette faculté de nous embarquer dans son mode. Il bénéficie d’ailleurs d’une production aux petits oignons qui fait bien ressortir tous les instruments, aussi bien les guitares, la basse et la batterie, mais également les nappes de claviers et autres ornementations qui émaillent sur cet album. C’est même un vrai régal d’écouter cet album au casque tant il est immersif. Mais l’on a toutefois un premier indice quant à ce qui va nous surprendre avec cet album: il affiche une dizaine de minutes en moins que ses deux prédécesseurs. Ce n’est pas anodin en fait, et c’est même ce qui va faire tout l’intérêt de cet album.
Si les années deux mille dix avaient mis en avant les velléités orchestrales du groupe, aussi bien sur At the Edge of Time, montant d’un cran avec Beyond the Red Mirror et avec pour pinacle le fameux projet Twilight Orchestra, l’on a plutôt l’impression sur The God Machine que cette période est derrière nous. Il y a quelques titres avec des orchestrations, les très beaux Secrets of the American Gods et Life Beyond the Spheres, ou encore sur l’introduction de Architects of Doom, mais c’est quasiment tout. Et encore, ces dernières prennent surtout des formes de chœurs aériens, pour ne pas dire elfiques tant le rendu est assez onirique, très beau il faut l’avouer, et donnent encore un côté hollywoodien. Je précise bien qu’il s’agit des chœurs d’orchestre, à contrario des chœurs de plusieurs vocalistes, devenus la grande spécialité du groupe, et qui sont toujours aussi présents. Dans tous les cas, l’on a l’impression que André Olbrich et Hansi Kürch ont décidé de prendre la direction inverse de leurs dernières réalisations. Cela se ressent notamment sur un côté un peu plus spontané et donc moins alambiqué dans les compositions par rapport à Beyond the Red Mirror. Et il n’est pas rare de penser à la démarche que le groupe avait prise après A Night At the Opera, lors de la sortie de A Twist in the Myth. La démarche est ici comparable, tant le groupe a décidé de prendre une autre direction, mais en restant toutefois des plus inspirés.
Et c’est sans doute cela qui va ravir plus d’un suiveur du groupe, et notamment ceux ayant apprécié les albums des années mille neuf cent quatre-vingt-dix : le groupe a décidé de faire un sacré retour en arrière d’un point de vue stylistique. Il renoue ainsi avec ces titres up-tempo sur pas mal de titres, sans doute les plus rapides depuis belle lurette. Mais c’était déjà la première chose que l’on pouvait constater sur un Deliver Us From Evil, que vont confirmer des titres comme Damnation, Violent Shadows et Architects of Doom : les élans speed metal ne sont pas loin sur des titres bien acérés et véloces comme il faut, qui nous renvoient à Somewhere Far Beyond. Et elle est là la belle surprise de cet album, c’est que le groupe a conservé son inspiration, et cela ne sonne aucunement comme des chutes de studios conservées dans un tiroir pendant une trentaine d’années. En tout cas, s’il y en bien un qui s’en donne à cœur joie sur cet album c’est le batteur Fredreik Ehmke, et le titre Blood of the Elves en est un autre exemple, avec ces tapis de double sur ce refrain énorme. Mais l’on a vraiment l’impression que le groupe a retrouvé une seconde jeunesse en prenant ce parti pour quelque chose de plus direct. Et cela ne sonne aucunement comme surfait ou, surtout, comme surjoué, les musiciens étant très à l’aise dans ce registre, tout autant lorsqu’ils calment le jeu sur certaines compositions.
Il ne faut pas pour autant voir dans The God Machine une volonté de faire un album old-school de la part de Blind Guardian, car s’il a retrouvé la verve de sa jeunesse, il fait toutefois preuve d’une grande maturité et surtout d’une très belle expérience. Son mélodisme particulier est toujours de mise, celui qu’il a acquis depuis Imaginations From the Other Side, et l’on a toujours ces mélodies de guitares et ces riffs particuliers, qui ne ressemblent à nul autre quand on y pense bien. Et quoi qu’on puisse en penser, il y a toujours cette personnalité particulière qui est présente ici, avec notamment ces phrasés de guitares, et ces leads qui ne font souvent pas dans la simplicité, mais qui enjolivent chaque composition par leurs interventions. Blind Guardian ne ressemble guère à aucune autre formation de Power Metal. Et même si le groupe a simplifié un peu son propos pour le rendre bien plus efficace, il n’en a pas moins décidé de laisser de côté ce qui fait sa force, notamment dans cette faculté de truffer chaque titre d’arrangements bienvenus et de savoir varier les tempi au sein de ces derniers. Et puis, il y a toujours ces chœurs sur ces refrains qui les rendent vraiment mémorables et qui donnent cette tonalité si spéciale à ce groupe, pour peu que vous ne soyez pas hermétique à ces agréments, notamment depuis que tout monde a redécouvert Queen depuis le biopic qui lui fut consacré. Cette influence est encore prégnante chez les Allemands. Mais c’est toujours un régal et je ne peux m’empêcher de citer le refrain de Blood of the Elves comme bel exemple, ainsi que celui de Life Beyond the Spheres. C’est d’ailleurs le même constant que l’on fait concernant les arrangements, légèrement plus discrets mais qui sont toujours aussi pertinents, comme ces cloches sur Damnation, ces petites touches électroniques sur Destiny, et ces sons de cuivres sur Secrets of the American Gods, c’est toujours un vrai travail d’orfèvre. Mais cela ne prend pas toujours les devants et qui laisse les instruments respirer.
Si l’on a sur une bonne part des titres un retour en force vers quelque chose de plus vindicatif, pour ne pas dire de plus agressif, il y a tout de même de belles temporisations, où le groupe conserve tout de même sa puissance de feu. Je pense au très bon Secrets of the American Gods, l'un des plus remarquables de cet album, avec cette belle montée en puissance au fur et à mesure de son défilement. Les orchestrations y sont magistrales tout comme sa construction. Dans ce même registre, l’on a aussi la power balade Let It Be No More, très belle dans ces arrangements et dans ce côté poignant, avec des paroles qui font référence au décès de la mère de Hansi Kürch. L’on ne tombe pas dans le pathos, ni dans le dégoulinant de bons sentiments, mais dans quelque chose de beau, tout simplement. Il faut dire que le chanteur est toujours en très grande forme et même assez époustouflant quel que soit le registre de chant. Son chant clair est toujours aussi beau et il renoue avec des intonations plus écorchées sur les moments les plus intenses de cet album. Evidemment, les guitares sont accordées un peu plus bas qu’auparavant, mais ça n’entache en rien la prestation du chanteur qui se démarque toujours autant. Cela va d’ailleurs très bien avec cette trame un peu plus sombre que nous avons en filigrane sur cet album. S’il y a des moments de bravoure, et des tournures assez épiques, il y a toutefois un petit côté terne dans tout ceci, une forme de gravité qui ne donne aucunement quelque chose de sautillant. Et cela aussi concourt à donner une plus grande profondeur à cet album.
Ce n’est donc pas avec The God Machine que Blind Guardian va vaciller de son trône de maîtres du power metal et les jeunes pousses vont devoir encore travailler d’arrache-pied pour avoir une telle qualité d’écriture et une telle inspiration, surtout après trente-cinq années de carrière et un douzième album dans son escarcelle. Je ne m’attendais guère à être autant séduit par cet album, qui est une très belle surprise car l’on n’attendait sans doute pas les Allemands sur un terrain volontiers plus rentre-dedans et un peu plus dépouillé qu’auparavant, enfin moins grandiloquent serait sans doute plus approprié comme terme. C’est même une sorte de cure de jouvence qui nous est présentée ici, avec sans nul doute l’album du quartet le plus accessible et le plus violent depuis une bonne vingtaine d’années. Et je dois avouer que cela fait vraiment plaisir écoutes après écoutes, de se délecter de cette belle collection de titres et de découvrir encore des détails de-ci, de-là. Si cet album est moins grandiloquent que le précédent, le groupe n’en a pas moins respecté son cahier des charges en proposant non seulement un album bien travaillé, mais aussi en évitant d’en faire une redite. Encore une fois, il y a vraiment de quoi ravir les vieux fans du groupe, ceux qui l’ont lâché à partir de Nightfall in the Middle Earth et encore plus depuis ce millénaire. Il y a même ici un condensé du savoir-faire du groupe sur ces cinquante minutes de très haute volée, comme s’il avait voulu faire une sorte de bilan, que l’on considérera comme des plus positifs. Evidemment, il n’a peut-être pas la même saveur que certains de ses prestigieux prédécesseurs, mais The God Machine n’a pas du tout à rougir dans cette discographie et n’est point une ligne supplémentaire dans cette dernière. Aussi, il serait dommage de faire l’impasse sur cet excellent album.
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