Si vous êtes de ceux qui ont déjà posé leurs oreilles sur la musique des Bretons de Syndrome 81, la sortie de leur premier album l’année dernière ne vous a surement pas échappé. À moi non plus d’ailleurs mais que voulez-vous, comme souvent en matière de chroniques, certains choix conduisent à d’inéluctables retards et pour le coup c’est Syndrome 81 qui en fait les frais ici. Quoi qu’il en soit, me voilà enfin décidé à vous parler de
Prisons Imaginaires, premier longue-durée des Brestois paru en mai 2022 sur Destructure Records (CD, vinyle), Sabotage Records (vinyle) et Black Water Records (cassette, vinyle). Un disque illustré non sans talent par monsieur Vincent Denis, tatoueur normand exilé à Strasbourg et plus connu sous le nom de All Cats Are Grey et produit (à l’exception du mastering confié à monsieur Carl Saff) par Lionel Cadiou, musicien rompu à l’art du Punk Rock puisqu’il opère lui-même au sein de Syndrome 81, Prisonnier Du Temps, Coupe-Gorge ou bien encore Mentalité 81 et grand manitou chez At The Movies Studio Recording (Coupe-Gorge, Litovsk, Sordid Ship, Jodie Faster, Cuir, Raw Justice...).
Bien que ce premier album soit relativement récent, son écriture ne date pourtant pas d’hier. En effet, certains titres ont vraisemblablement été composés il y a bientôt une dizaine d’années alors que l’enregistrement des parties de batterie remonte quant à lui à l’été 2018... Un processus particulièrement lent qui explique probablement pourquoi il aura fallu autant de temps aux Finistériens pour franchir cette étape devenue cruciale, notamment après une tripotée de EPs tous plus convaincants les uns que les autres (je vous renvoie à la chronique de
Béton Nostalgie) mais forcément un poil frustrants, notamment par leurs durées.
Quoi qu’il en soit, même si l’attente fut effectivement un peu longue, on peut affirmer sans trop se tromper que le résultat est à la hauteur de toutes les espérances. Fidèle à son Punk Rock mâtiné d’influences et de sonorités allant du Hardcore ("Violence Sociale", "Toujours À l’Ouest", "Sur La Brèche") au Post-Punk ("Vivre Et Mourir", "Dans Les Rues De Brest", "Futur Périmé", "Béton Froid"...) en passant par la Cold Wave ("Lumière Magnétique"), Syndrome 81 reprend pour notre plus grand plaisir cette formule singulière qui est la sienne et qu’il cultive depuis ses premiers balbutiements. Un parfait mélange d’agressions et de mélodies avec en toile de fond Brest La Grise.
En effet, comme on a déjà pu l’évoquer précédemment, cette ville du Finistère située à plus de 250 kilomètres des portes de la Bretagne (soit au bout du monde pour trois quart des Français) occupe une place centrale chez les garçons de Syndrome 81. De ces origines géographiques et sociales émanent tout un tas de sentiments contradictoires avec d’un côté cette attirance évidente pour ce cadre de vie paisible et à taille humaine, cette proximité avec la mer et la nature environnante, cette atmosphère de cité portuaire si particulière et cette scène alternative à la fois vivante et dynamique et de l’autre un certain dégoût pour cette morosité ambiante, ces murs gris et sinistres et plus globalement cette architecture lisse et sans âme mise en place afin de répondre à l’urgence d’une population privée de logements, cette météo plombée et plombante et cette misère sociale sous-jacente. Une présence forte et indissociable du groupe et de sa musique que l’on va retrouver diluée dans ces mélodies amères et désabusées ainsi que dans les paroles de Fabrice Le Roux, poète pompette et revêche à la verve incroyablement juste et naturelle. Des textes simples mais touchants et qui ne manqueront pas de trouver écho chez chacun d’entre nous, même parmi ceux qui ne vivent ni à Brest ni proche de la mer :
"Et dans les rues de Brest, j'ai cramé ma jeunesse. Et dans les rues de Brest, flotte un goût de tristesse. Et dans les rues de Brest, j'ai prolongé l’ivresse. Et je regagnais Lambé, le cœur lourd et solitaire. Je maudissais les premières lueurs du jour. Comme un parfum de défaite face aux sirènes de l’ennui. Mes pas me ramenaient vers la réalité."
"Abonné aux défaites, poursuivi par l’échec. Je contemple la ville, le miroir de mon âme. Esthétique soviétique, téléphérique statique. Brest est sous la pluie, je vis au ralenti. Futur périmé, déjà dépassé. Futur périmé, futur périmé. Redessiner la ville pour un avenir radieux. Projets immobiliers, table rase du passé. Nos dernières illusions coulées dans le béton sacrifiées sur l’autel de la modernité."
"Cernés par l’océan et battus par les flots. Ces rues m’ont vu grandir, et nous verront mourir. La mer pour horizon et la pluie pour linceul. Piégés dans le béton, prisons imaginaires."
Au-delà de ces textes et autres refrains fédérateurs scandés à l’unisson à chaque passage sur les planches, Syndrome 81 tire également son épingle du jeu grâce aux mélodies douces-amères, désabusées et pourtant imparables de Lionel Cadiou. Un sens de la formulation qui fait mouche et rend les compositions des Brestois particulièrement poignantes et chargées en émotion. De "Vivre Et Mourir" à "Dans Les Rues De Brest" en passant par "Futur Périmé", "Les Derniers Jours", "Des Nuits Blanches" ou "Fuir Son Passé", je vous mets une fois de plus au défi de ne pas succomber aux charmes de ces mélodies mornes et désenchantées qui paradoxalement illuminent et réchauffent les coeurs.
Finalement, le seul petit point noir de ce premier album est pour moi ce poème signé Constantin Cavaf que Syndrome 81 a choisi de placer à mi-parcours ("La Ville") et qui, bien que fort à propos puisqu’il évoque une certaine immuabilité dans ce rapport que l’on peut entretenir avec ses origines, tombe complètement à côté chez moi. La faute, probablement, je ne sais pas trop, à cette récitation trop scolaire et sans grande émotion qui ne parvient pas à un seul instant à m’émouvoir. Rien de bien dramatique mais il fallait quand même que cela soit dit.
Cependant, au moment de conclure, ce n’est pas ça que l’on gardera en tête de ce premier album mais bien tout ce que l’on a pu évoquer avant. La qualité de ces textes qui vous prennent aux tripes et résonnent au plus profond de nous pour X ou Y raisons, ces dynamiques et influences variées quelque part entre Punk Rock, Hardcore, Oï, Post-Punk et Cold Wave et puis bien sûr ces mélodies si singulières qui participent à l’identité très marquée de Syndrome 81. Bref, les attentes étaient évidemment élevées après toutes ces sorties aussi courtes que réjouissantes mais le moins que l’on puisse dire c’est que les Brestois n’ont pas vacillé sous la "pression" (enfin ça dépend laquelle) et que malgré cette chronique tardive, l’amour porté à
Prisons Imaginaires n’a pas flanché d’un iota, bien au contraire.
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