Le death metal du début des années 2000 restera à jamais marqué par la scène polonaise, en ce qui me concerne – et je ne suis certainement pas le seul à penser cela. Alors que Vader sortait l'imparable duo
Litany/
Revelations et que Behemoth prenait un virage franchement death metal, les prodiges de Decapitated explosaient avec
Winds Of Creation et
Nihility, et d'autres groupes plus mineurs (en renommée) tels Dissenter, Trauma ou Yattering profitaient de l'opportunité pour se faire un nom. Pourtant, s'il n'y a à mon sens qu'un seul groupe à retenir de cette époque, c'est bien Lost Soul, dont
Übermensch reste le meilleur album de l'histoire de la scène polonaise, suivi de près par un
Scream Of The Mourning Star qui fait probablement parti du panthéon des meilleurs premiers albums de Chris et moi-même. N'ayant jamais eu une réelle renommée internationale, et bien vite oublié après un split quelque part au cours de l'année 2006, on avait bien vite oublié Lost Soul, malgré la troisième baffe consécutive qu'avait été
Chaostream. Je me demandais bien ce que devenaient les gaillards, jusqu'à ce que j'apprenne que le second guitariste et le batteur de l'époque (Piotr et Adam) jouaient les roadies pour Vader, et que la tête pensante du groupe, Jacek, avait simplement mis le groupe en suspens pour ouvrir un bar. Situation confuse, Jacek était le leader incontesté du groupe et l'avait simplement délaissé, alors que les deux membres d'origine essayaient de relancer la machine de leur côté. De là sont – je suppose – nées les divergences qui ont poussé le guitariste/chanteur blondinet désormais chauve à ne pas rappeler ses deux comparses pour ce quatrième album de Lost Soul, mais à s'adjuger les services de deux illustres inconnus pour les suppléer. Même si le bassiste demeure, c'est donc une nouvelle ère qui s'ouvre pour Lost Soul, ce qui ne va évidemment pas sans avoir de profondes conséquences musicales.
Les polonais étaient jusqu'à présent restés sur l'impression de rouleau compresseur laissée par
Chaosteam en 2005, leur album le plus brutal, dans la droite lignée des précédents mais avec des influences Morbid Angel (sous speed) encore plus prononcées. Je m'imaginais donc que Lost Soul revienne en conjuguant comme à son habitude le meilleur du death polonais et du death floridien. Pas de bol, le groupe a semble t-il tronqué sa casquette floridienne pour un horrible petit bonnet avec rabats rouflaquettiens rembourrés polonais, et pas polonais façon Trauma ou Vader de la belle époque, non, polonais à la mode. Et oui, malheureusement les deux derniers Behemoth sont probablement ce qui se rapproche le plus de
Immerse Infinity, et comme vous le savez, ce n'est pas franchement un gage de qualité en ce qui me concerne. Cette évolution se fait surtout sensible sur les passages mid-tempo, alors qu'avant même dans ses morceaux les plus lents, Lost Soul essayait de conserver une fluidité dans la lourdeur, un fil d'Ariane mélodique là où les accords de quinte ultra graves prenaient le pas sur les trémolo ravageurs. « Soul Hunger » est un modèle de mid-tempo réussi à la perfection, car la lenteur n'y est synonyme ni d'absence mélodique ni de monotonie ; mais même sans aller jusqu'à l'extrême du morceau totalement mid-tempo, tous les titres du groupe comportent au moins un break en guise d'accalmie au milieu de cette avalanche de blasts, sans qu'aucun ne prenne la forme d'une simple syncope sans trace de mélodie. C'est pourtant ce qui arrive fréquemment sur ce quatrième album, singulièrement plus lourd que ses prédécesseurs, bien qu'heureusement le style Lost Soul avec ses montées en régime soudaines demeure bien présent sur ce
Immerse Infinity.
L'évolution n'est certes pas gigantesque, et le style du groupe toujours très reconnaissable, mais le changement de philosophie de Lost Soul fait indubitablement de
Immerse Infinity un album nettement plus faible que ce que les polonais ont pu proposer jusqu'à présent. Pourtant j'ai bel et bien eu l'illusion que ce nouvel opus aurait le brio de ses prédécesseurs... jusqu'à 1:24 dans « Revival », où un des breaks que je viens de conspuer vient couper toute la dynamique d'un morceau qui sans cela serait excellent.
Immerse Infinity a malheureusement cette allure de montagnes russes, où l'intensité peut monter à son sommet et redescendre la seconde suivante dans un flot de médiocrité syncopée. Pire encore, « … If The Dead Can Speak » est un mid-tempo horriblement simpliste, bien que sauvé du naufrage par un placement vocal qui lui insuffle un peu d'énergie et par une mélodie plutôt intelligente sur un refrain un peu plus fluide que le reste. « Breath Of Nibiru » quant à lui n'est qu'une succession de quelques plans mollassons sans saveur qui n'inspirent qu'un ennui profond, hormis une deuxième minute qui sauve (un peu) les meubles. Et pour ne rien gâcher, il me faut souligner la régression technique de Jacek et le fait que le nouveau second guitariste ne tienne pas la comparaison avec l'ancien ! Et oui, la voix de Jacek s'est faite un peu plus criarde et beaucoup moins profonde, bien moins death metal, ce qui en soit m'irriterait totalement si ce n'étaient pas ses solos qui avaient le plus baissé en qualité. Je ne sais pas si c'est l'alcool ou le fait qu'il ait délaissé la guitare trois ans pour tenir son bar, mais le bougre a clairement perdu en niveau : les tappings sont moins propres, les sweeps moins fluides et moins rapides, mais surtout les solos en eux-mêmes sont moins inspirés, moins chantants, moins envoutants. Ne vous méprenez pas, il a toujours un excellent niveau et les solos de Lost Soul sont toujours nettement au dessus de la moyenne, mais il est loin le temps où Jacek laissait sur le cul, et où il pouvait prétendre au titre de meilleur soliste polonais...
Il ne faut pas donc s'attendre à un nouveau « The One You Seek » ou « The World Of Sin » sur
Immerse Infinity, aucun titre de ce nouvel album ne conserve l'intense brutalité pourtant autrefois caractéristique des polonais. De ce point de vue, quiconque a connu et apprécié le Lost Soul de la grande époque ne peut qu'être déçu, mais ça n'empêche pas d'éprouver un réel plaisir à l'écoute de certains passages, principalement les refrains ultra efficaces, dans la grande tradition du groupe. Globalement, le death metal des polonais reste brutal, et les accélérations, comme celle assez sidérante à 3:40 sur « Divine Project » font toujours mouche. Et même si quelque chose s'est clairement brisé dans la dynamique et la qualité de composition du groupe, je ne peux pas prétendre que cet album est mauvais, je dois même reconnaître que dans l'absolu, et comparativement à ce qui sort en matière de death metal actuellement, c'est un bon album. Je le trouve, par exemple, bien moins inégal que le dernier Behemoth, dont Lost Soul s'inspire pourtant désormais clairement. Il n'y a qu'à voir le clip de « … If The Dead Can Speak » dont l'esthétique est similaire à celle de la bande à Nergal – sans toutefois verser dans le grand guignol et l'outrancier de cet ancien grand groupe de la scène polonaise, et je ne parle même pas du look – pour comprendre ce que je veux dire.
Oui, je regrette amèrement le Lost Soul d'avant, celui qui a eu le culot de mettre un clavier sur du brutal death dans l'imparable
Übermensch alors que seul Agiel a proposé un pari aussi osé, celui qui arrivait à me laisser pantois d'admiration par ses solos imparables, ses blasts furieux, ses riffs incisifs et son refus total de se saborder dans des rythmiques simplistes. En tant que fan, qui préfère de loin un excellent mélange d'influences Morbid Angel et de death polonais à une resucée de Behemoth aux réminiscences de
Chaostream, et qui comprend mal ce que viennent faire là « … If The Dead Can Speak » et « Breath Of Nibiru », je me vois contraint d'infliger cet album d'un 5/10 en guise de sanction. Mais, en tant que chroniqueur qui voit passer tout un tas d'albums de death metal minables, minimalistes, sans une once de talent, de génie ou d'originalité, voire carrément sans intérêt, je pense que
Immerse Infinity mérite tout de même un 7/10, car n'importe quel amateur de death metal prendra du plaisir à son écoute. Je coupe donc la poire en deux. Bien sûr, ceux qui se tirent la nouille sur « At The Left Hand Ov God » ou « Ov Fire And The Void » apprécieront les mid-tempos de ce quatrième opus, tout en prenant une méchante claque sur les riffs jouissifs qui le parsèment. Rappelez-vous, je disais récemment que
Evangelion plagiait en ses meilleurs moments
Chaostream ; désormais, c'est
Immerse Infinity qui s'inspire de Behemoth, sans jamais heureusement toucher les tréfonds de la médiocrité que ce dernier peut atteindre de temps à autre. Évolution heureuse ? Certainement pas. Mais qu'importe, en ces temps troublés où la gloire de la Pologne paraît désormais bien lointaine (ma théorie est simple : leur scène s'est écroulée le jour où ils sont rentrés dans l'Union Européenne, choc psychologique ou simple fait de savoir que Gojira pourrait désormais traverser la frontière sans se faire refouler à la douane), on ne va pas se plaindre d'entendre enfin un album de death metal correct en provenance de la terre natale de nos plombiers préférés.
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