Celeste, avant leur amour pour les titres à rallonges, parfois ronflants, parfois ridicules, est avant tout porteur d’une patte sonore reconnaissable entre mille autres. Un son toujours monolithique, ou tout semble avoir été sur-mixé, jusqu’à rendre la batterie presque indiscernable, noyée sous les cymbales et les murs compacts formés par les guitares, où seule la voix possédée de Johan semble arriver à se faufiler jusqu’aux tympans de l’auditeur. Une mixture que le groupe porte en étendard et affirme de disque en disque, depuis
« Nihiliste(s) » jusqu’à aujourd’hui. Après un
« Morte(s) Née(s) » qui me semblait atteindre le point culminant de ce que le combo lyonnais pouvait proposer en matière d’assaut sonore, l’annonce d’un nouveau disque, toujours chez Denovali, ne pouvait que me rendre dur comme fer, curieux de voir jusqu’où le groupe pouvait aller. Celeste se renouvelle peu, certes, mais sait envoyer le bois, maîtres de leur son et de leur univers, où passions déçues côtoient violences domestiques, pulsions malsaines et autant d’innocences salies. Rien que ça.
Il aura fallu pas moins de trois ans au quartet pour nous pondre « Animale(s) », double album que beaucoup attendaient de pied ferme. Servi par un artwork toujours aussi énigmatique, véhiculant l’obsession féminine si chère au groupe – et à Johan, il faut croire, la version physique (je me cantonnerai ici au double digipack) est d’excellente facture.
« Morte(s) Née(s) » comportait un livret complètement inutile, qui se contentait de reprendre l’artwork de la jaquette sur quatre pages et de réserver les textes au centre. Il en est fait l’économie sur ce dernier né, les textes étant imprimés à l’intérieur du digipack. Textes qui, comme à l’accoutumée, feront saigner les yeux de celui qui voudra les déchiffrer. Le style d’écriture n’a pas réellement changé, tout est bien ficelé, mention spéciales à « Serrés comme son coeur lacéré », un titre aussi drôle que les paroles sont travaillées, qui vient clôturer avec brio un disque éreintant.
L’idée du double album m’apparaissait comme quelque chose d’ambitieux, pourtant, une fois l’objet en main et écouté jusqu’à l’abrutissement complet, je tends à penser qu’il n’est double que dans un souci purement pratique :
« Morte(s) Née(s) » n’est guère plus long que ses prédécesseurs, tapant malgré tout 69 minutes au compteur – quand « Misanthrope(s) en faisait 50. Le temps d’enregistrement pour une galette classique étant limité, on se retrouve avec deux disques d’une durée de 30 minutes, et, en chipotant, en changer en plein milieu brise un peu la dynamique de l’écoute. Souci pratique, pis encore, j’ai presque l’impression d’assister, au détour de certains titres, à du remplissage éhonté : j’en veux pour preuve « (X) », première instrumentale, six minutes boursouflées, tartinées, laborieuses, où se répète encore et encore le même schéma rythmique. J’aime le minimalisme, mais il y a des limites. Le « concept » du disque est de décliner ce qui semble être l’histoire d’un homme (première galette) et d’une femme (seconde galette), deux êtres mal-aimés qui finiront par se croiser, s’envoyer en l’air sous un arbre et être très tristes. J’ai déjà vu plus alléchant.
Musicalement, à présent. La production reste sensiblement la même que sur les albums précédents, bien qu’à mon sens, elle ait bénéficié d’un travail supplémentaire. Le son est encore plus monolithique que sur
« Morte(s) Née(s) », mais, chose appréciable, la batterie y est bien plus audible – souvenez-vous, vous aussi, vous avez du peiner à la trouver dans « Il y a bien des porcs… », rendant ce « Animale(s) » encore plus massif à l’écoute. Sans surprise, Celeste fait toujours du Celeste : ceux qui recherchaient dans ce double album un peu plus d’ambition, où des détours vers des terres encore inexplorées pour le groupe, auront attendu en vain. Hormis une nappe bruitiste sur « D’Errances en Inimitiés », et l’utilisation de claviers (discrets) sur « (Y) », dernière piste purement instrumentale de « Animale(s) », « l’expérimentation » se fait franchement discrète, à la manière de « (S) » sur
« Morte(s) Née(s) » (où l’on pouvait entendre le viol samplé du film « Irreversible »).
Celeste donne tout, certains titres écrasent allégrement toute concurrence potentielle, de l’ouverture fracassante « D’errances en inimitiés » jusqu’au tabassage en règle d’ « Empreinte d’Erotisme » (malgré quelques « cuts » au niveau de la voix assez mal gérés), la violence désespérée du groupe se transcende au travers des compositions, ces dernières atteignant une puissance (« Dans ta salive, sur sa peau ») et une tristesse (« (Y) ») que je ne connaissais pas au groupe. Dès le premier titre et ses arpèges vénéneux, on retrouve le Celeste que nous aimons, celui qui arrive à jouer la même recette avec brio, à défaut de la renouveler. Malgré une certaine redondance déjà évoquée plus haut, due à la durée plus élevée de l’objet, « Animale(s) » constitue une sacrée raclée, et les sceptiques pourront retourner se rhabiller. Entendons-nous bien, « Animale(s) » n’est pas exempt de défaut, loin de là. Mais où est l’intérêt d’une galette parfaite (surtout lorsque, comme le groupe, elle s’attaque à la laideur de l’âme humaine) ? « Animale(s) » reste pour moi l'une des sorties les plus marquantes de l'année 2013, tant par l'attente qu'elle aura suscitée que par le résultat, à la hauteur de toute espérance.
Sagamore – 7,5/10
Ne vous en faites pas, je ne vais pas m’éterniser. Il semble que ce double-disque de Celeste soit celui des congratulations et des embrassades, celui fêtant le retour du prodige où les « décideurs d’opinions » du net y vont de leurs recommandations, mettant enfin pleinement en lumière celui ayant tant tenu à les éteindre, trois albums et un EP auparavant. Un succès mérité à force d’œuvres où la suivante enculait la précédente, pour un groupe n’ayant jamais cessé de tracer la route pour défendre son mix entre (post) hardcore et black metal (rappelons-le, un mélange qu’il a aidé à populariser et définir). Par respect, je ne ferai donc pas outre-mesure l’objecteur de conscience et retournerai rapidement au fond de la salle, en regardant le fond de ma flûte à champagne d’un air embêté.
Car je n’aime pas
Animale(s). Il est pour moi l’essai par lequel Celeste, entité ayant toujours fait son pain de flirter avec les limites, va trop loin. Trop loin dans le grotesque, trop loin dans le conceptuel et trop loin dans l’autocongratulation. Ces éléments faisaient autrefois partie de son charme, des paroles misérabilistes à l’artwork de fin de projet d’étudiant un peu trop morose en école de photographie en passant par l’envie de repousser toujours plus loin le moment final afin de mieux acculer, étourdir et finalement laisser éteint. Les Lyonnais ont toujours su évoluer suffisamment, par petites touches, ici des compositions plus portées sur le down-tempo (
Misanthrope(s)), là des sautes d’humeurs constantes (l’indépassable
Morte(s) Née(s)), toujours avec l’objectif final d’écraser davantage. Désormais, Celeste veut revenir plus fort que jamais après trois ans d’absence en offrant plus en durée et… moins en intensité.
En effet,
Animale(s) aligne un tempo constant, tablant sur l’endurance pour réussir. Un pari qui le place ailleurs des précédents longues-durées des Français mais plus proche de la mouvance du post-hardcore grimé. Derrière quelques rappels au passé (on peut penser aux moments bruitistes de
Misanthrope(s) et
Nihiliste(s) sur « Dans ta salive, sur sa peau » ou « D’errances en inimitiés » par exemple) se cachent des morceaux plus mélodiques qu’auparavant, souhaitant marquer un contraste entre moments tristes et passages plus offensifs évoquant… vous trouverez votre référence vous-même, il y en a plein.
Le problème se situe d’ailleurs-là : Celeste rejoint la masse grouillante qui remplit tant de « haine sale » et autres déclinaisons de la sombritude énervée des armadas de coreux à t-shirt noir. « Le meilleur album de Downfall of Gaia » me suis-je d’ailleurs dit tristement à moi-même quand j’ai écouté pour la première fois
Animale(s), tant l’impression de torture n’était plus présente, délaissée au profit de quelque chose de plus poli, dans tous les sens du mot. Le geste est là, de même que le rendu dont il est bien difficile de démêler ce qu’il manque de jusqu’auboutisme – à quelques instrumentaux près, plutôt calmes, cinématographiques (*urgh*) et donc ennuyants (« Outro » en particulier) – mais l’ensemble sonne contraint, pris entre une identité pesante (les textes et titres ne sont-ils pas un peu trop ridicules, cette fois-ci ? « Laissé pour compte comme un bâtard » ? Non ? Vraiment pas ?) et ce qu’il transmet de mal-à-l’aise à tenir dans un costume trop grand pour lui, pour finir sur un doublet préférant mettre le petit doigt sur la couture que suer sous le costard sans faire attention à l’odeur, comme autrefois, malgré une deuxième partie plus convaincante dans ses menaces.
Juré-craché, j’arrête bientôt. Comprenez que ces ruptures-ci sont douloureuses, que revoir trois ans plus tard celui qui m’a tant impressionné et constater qu’il me fait le même effet que quelqu’un maugréant que le resto de la veille ne valait pas son prix me rend triste. Simplement,
Animale(s) est sans doute plein de bonnes choses pour certains (ce que mon collègue Sagamore se chargera d’appuyer, je n’en doute pas), me concernant, il est une double-ration de Celeste-light à laquelle manque l’essentiel : la méchanceté extrémiste qui plaçait les Lyonnais au-dessus du reste. Allez les gars ! Vous l’avez sorti votre disque mégalo ! Maintenant, revenez à ce que vous savez faire de mieux : nous mettre la misère. Le jour où cela arrivera, comptez sur moi pour vous féliciter.
Ikea – 5/10
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