Sale Freux - « Adieu, Vat ! »
Chronique
Sale Freux « Adieu, Vat ! »
J’en aurai mis du temps pour écrire cette chronique ! Non pas parce que j’hésitais sur la qualité de cet album, mais parce qu’une nouvelle fois SALE FREUX a accouché d’un enfant complexe, beaucoup plus que ce qu’une écoute distraite pourrait laisser penser. Je savais que j’allais avoir énormément à en dire et en même temps l’appréhension de plonger pleinement dans l’ œuvre. Les précédentes sorties étaient déjà l’occasion d’être bavard - vous irez refaire un tour du côté des bafouilles sur l’Exil et de Demain, dès l’aube… - mais « Adieu, Vat ! » est encore plus abouti, plus complet, et plus complexe.
La tête pensante depuis toujours de SALE FREUX, Dunkel (DRAKONHAIL, J’AI SI FROID...), s’est de plus totalement confié dans un livret aux illustrations et informations encore plus nombreuses qu’à l’accoutumée. Un livret épais et beau, parsemé de photos prises par un compagnon de route, Jimmy, sur les côtes bretonnes... Les côtes bretonnes qui ont un rôle important dans cet album, car même si les morceaux n’ont pas été écrit à la base pour ne faire qu’un et répondre à un concept particulier, la mer a toujours été une inspiration, comme si son immensité proposait à Dunkel une sortie à de monde terrestre qui l’a tant fait souffrir et qui continue de le faire souffrir. On y reviendra. La mer donc, élément fortement présent sur cet opus, mis en avant par des enregistrements de flots et des chants de goélands. Mais également mis en avant pas le titre de l’album : « Adieu, vat ! ». Dunkel en parlera mieux que moi :
« J’ai découvert la formule « Adieu, vat ! » le jeudi 5 juin 2014, sur une vieille carte postale exposée à l’Abri des Marins, usée des arts et traditions populaires de l’Île de Sein. Elle m’a immédiatement emballé. Sa parfaite adaptation à ma situation m’est apparue claire comme de l’eau. Trois-quatre lampées obscures comme du vin après, chargées d’inspiration, le titre de mon album était défini... Je propose donc ici d’approfondir ma propre interprétation relative à ce choix impulsif, peut-être même flou : C’est largement influencé par la large océanique du Grand Ouest hexagonal que puiser mon inspiration dans la pure navigation et l’univers marin s’est imposé au fil du vent : « Adieu, vat ! », formule de souhait pour une heureuse navigation ; « Adieu, vat ! », commandement pour virer de bord vent devant, c’est-à-dire à filer l’écoute du foc ; « Adieu, vat ! », formule marquant l’abandon à la protection divine après une décision qui comporte des risques à la manière de ceux que courent les matelots. Autant de balises proportionnelles à l’écriture musicale et lyrique, au sens tragique de l’album, de son enregistrement en état d’extrême fatigue et de faiblesse morale... »
Des éclaircissement qui sonnent donc plus comme une confirmation. La mer, métaphore, mais aussi échappatoire rêvée et dangereuse. Mais la mer qui n’est pas un concept. Cet album parle beaucoup plus des souffrances quotidiennes. Comme à son habitude, Dunkel ne joue pas, n’imagine pas des histoires, n’essaie même pas de montrer un visage faussement hautain, fort ou rebelle. Comme à son habitude, il ne créé pas, mais il subit la vie. Il sort en musique toutes les expériences qui ont frappé aux portes de son existence. Et elles sont plus traumatisantes et tragiques qu’heureuses. De là à dire que la musique de SALE FREUX est une façon pour Dunkel de chasser ses démons, il n’y a qu’un pas. L’homme en semble conscient, et en tous cas, il tient ce discours :
« SALE FREUX vous suggère ici huit nouvelles chansons. Huit plaies musicales que j’ai composées et enregistrées à des moments épars en 2014 et 2015. Maladroitement collectées car à l’origine sans réelles relations entre elles, j’en ai néanmoins trouvé, et ce au fil des mois, le point commun : l’air de la liberté. Et qui dit liberté dit partie, partir encore, se barrer encore une fois. Ce que SALE FREUX fit. « Adieu, vat ! » sonne alors comme un détour indispensable – certes accidentel – entre Crèvecœur et la révélation conceptuelle d’un autre album. Les enregistrements du titre « Aux âmes éclairées » datant de janvier 2014 et celui postérieur de l’album Crèvecœur témoignent sans conteste du caractère dispersé de cet « Adieu, vat ! » ici présent. Ainsi, ce dernier évolua comme une sorte de synthèse, voire de remise en question, de ce que représente SALE FREUX dans sa globalité musicale : des débris de multiples fractures ouvertes. Aussi, la froideur des mélodies et la structure d’une chanson telle qu’ « Edelweiss » peuvent nettement être comparées à celles d’ « Elle a violé mes rêves » ; l’aspect poignant et tragique des paroles de Crèvecœur se retrouve de manière impromptue à la lecture du poème Idylle ; enfin, des amorces, en tous cas conceptuelles de 107 bouteilles à la mer cabotent et chancellent déjà sur le trio « Cap coma » / « Vogue la galère » / « Cap trauma ». « Adieu, vat ! » est un album incisif censé symboliser une coupure, une cassure, un dernier coup de lame, un dernier coup de masse nécessaire pour que vogue la galère de SALE FREUX vers de nouveaux horizons, d’autres brises-lames... Des « bon vent ! » spiritueux plein la gueule et des mauvais vents en pleine face comme seule compagnie. Une direction musicale qui sera probablement différente, plus contemplative je suppose, mais mélancolique comme jamais et dangereuse comme des lame de fond. Avec le temps, les accords d’ « Adieu, vat ! »sont devenus plus qu’un simple jet de notes, mais bel et bien une œuvre à part entière. A l’automne 2014, j’en terminais la composition par exigence envers moi-même et l’enregistrement de ces épaves de manière instinctive. En fin de compte, « Adieu, vat ! » est devenu le bout conducteur entre Crèvecœur et 107 bouteilles à la mer. Il n’est certainement pas un album conceptuel, il est trop furtif et trop bancal pour l’être...
Seulement un recueil préliminaire, un assortiment de mélancolies, de couchers de soleils vermeils, d’aurores autant que de crépuscules, de comas aux caps des plus petits ports bretons, de bouteilles brisées à même le bras... Il a puisé son inspiration dans des fragments de ressentiments, d’hostilités intimes, d’insomnies, de tragédies, d’absences, de défaillances, de défaites, d’abandons, de détresses, de nausées, d’incertitudes, de soûleries... »
Quiconque n’a jamais écouté SALE FREUX se dirait que sa musique doit être encore une ode à la dépression, un énième FORGOTTEN TOMB, MAKE A CHANGE KILL YOURSELF ou STERBEND. Et non, la musique de SALE FREUX n’est pas dépressive dans le sens de ces groupes, ni dans le sens de tous ces clones qui ont tenté d’imaginer la douleur sans l’avoir côtoyée. Car il faut bien le marteler encore et encore, Dunkel n’imagine rien. Il ne joue pas. Il accouche en musique sa vie. Il subit presque sa musique en fait. Les cris sont ceux d’un homme blessé, voix nasillarde qui croasse comme un animal mourant. La mélancolie est omniprésente sur les 7 pistes, non seulement portée par les mélodies aux guitares électriques gémissantes, mais aussi par quelques apparitions de guitares folk malheureuses et d’un harmonica au accents nostalgiques... Et puis il y a tout au long de l’album des extraits cinématographiques qui viennent rappeler le tragique des ambiances.
Extrait de Her sur « Elle a violé mes rêves » :
« Merde, mais qu’est-ce que tu racontes ? Mais d’où ça sort ça ? Je... Je comprends pas pourquoi tu fais ça. Je comprends pas du tout de quoi il... »
Extrait des Noces Rebelles sur « Vogue la galère » :
« T’es vile, t’es creuse. (...) Pourquoi on est mariés toi et moi ? Pourquoi ? Pourquoi tu portes mon enfant ? Pourquoi t’as attendu qu’il soit trop tard pour te débarrasser de ce putain de gosse ? (...) Parce que j’aurai préféré que tu t’en débarrasses ! »
Extrait du Parfum sur « Idylle » :
« Cette nuit-là, il ne put dormir. L’envoutant pouvoir du parfum de la fille lui fit soudain apparaître clairement pourquoi il s’était cramponné à la vie avec autant d’obstination et d’acharnement. La signification et le but de sa misérable existence avaient une destinée plus grande. Il apprendrait comment préserver une senteur, afin de na plus jamais en perdre la sublime beauté. »
Mais il faut aussi citer les textes de Dunkel lui-même. Comme vous l’avez remarqué grâce aux citations ci-dessus, il sait très bien où il va, il est lucide. Et il sait écrire. Pas seulement pour faire son analyse, mais aussi pour transmettre son vécu et ses sentiments. Il apparaît sur ses nouvelles pistes comme un poète écorché. En lisant les paroles, qu’il a eu le bon geste de faire apparaître dans le livret, on découvre des textes forts. Surprenants mêmes tant les cris poussés sont difficiles à être compris. Beaucoup auront pensé qu’il ne s’agissait que de gémissements sans signification. Erreur :
« J’ai vu mille fleurs bleues, j’en ai distillé les pétales,
Dont j’ai recueilli l’essence et parfumé mon Freux Sale,
Mais le liquide s’est noirci ; il empeste déjà mon lit, ma nuit,
Pas de cauchemar sans boire ni déboires : en route ! Millième insomnie.
L’air de retrouver l’émotion de rêve que l’aurore éclipse,
L’air d’un « ne m’oublie pas » ; tu m’environnes en cercle ,en ellipses,
L’heure du grief de ton aurore, il est temps : je m’en vais,
L’heure de rester, je n’étais qu’un rêve d’or, le tien : Ne m’oublie jamais ! »
Ceux qui était resté bloqué sur les premiers albums et associaient SALE FREUX à du PESTE NOIRE doivent se dire que ce n’est plus le même groupe ! C’est vrai qu’on parlait alors de SALE FREUX comme de Terroir Black Metal...
Musicalement, il n’a pourtant pas tant changé, et on le reconnaît sans effort. C’est juste que les blessures sont fortes, et qu’il était temps de les soigner, et que cet album tente de les panser. Tout l’album décharge alors le pathétique de la vie. Sans lui en vouloir. En étant dans un sens plutôt résigné. La vie est-elle un mal ou un bien ? Ni l'un ni l'autre, juste une réalité. Et chaque note de SALE FREUX en raconte une sensation, une souffrance :
Le Do de douleur
Le Ré de résigné
Le Mi de misérable
Le Fa de fatigué
Le Sol de solitude
Le La de laideur
Le Si qui mettrait la vie en bouteille
Dernières précisions :
Saluons le chant de Marie sur un titre. Sa présence féminine vient apporter ce petit espoir, rare, temporaire, sans suite.
« Et puis c’est tout » est un titre à part, uniquement à la guitare folk et avec la voix d’un homme rencontré par hasard, apparemment alcoolisé et parti dans son histoire.
J’ai parlé de sept titres lorsque Dunkel parle de huit. En achetant l’album vous devriez recevoir un deuxième CD qui l’accompagne. Avec un seul titre : « Viens on s’en va loin ». Il fait 15 minutes.
Encore une fois, je suis conquis par SALE FREUX, il ne tourne pas en rond, il est sincère. Ou plutôt il est entier. Que lui reprocher ? La voix qui ne plaira pas à tout le monde ? Oui, mais elle n’est pas nouvelle, et surtout un autre timbre changerait tout. L’ambiance, le résultat, le propos. Comme chaque élément en fait. Ce n’est plus une question d’aimer ou non la musique, elle est ce qu’elle devait être. Elle n’aurait pas pu être différente !
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