En l'absence prolongée du géant endormi Morbid Angel (dont le dernier skeud mémorable remonte tout de même à 2000,
nd von_yaourt : 2003), Nile s'est progressivement imposé comme le grand patron de la scène death métallique. S'appuyant sur des prestations live pharaoniques et sur un chef d'œuvre de maîtrise technique et de dextérité -
Annihilation Of The Wicked en 2005 – les américains ont progressivement éclairé leur parcours de l'Égypte ancienne d'une lueur nouvelle, Karl Sanders, Dallas Toler-Wade et George Kollias écartant le ténébreux linceul qui obscurcissait à outrance la production d'un album comme
In Their Darkened Shrines pour tendre vers plus de clarté dans le son, voire les instrumentations. D'aucuns regretteront l'ère révolue d'une musique plus lourde, plus étouffée et plus extrême mais la reconnaissance internationale du groupe passait sans doute par une production plus léchée, plus équilibrée. Or, après un
Ithyphallic un poil faiblard sur ce plan et moins définitif en matière de compositions, il y avait fort à parier que Nile opérerait un retour plus brutal en renouant avec un fond de jeu basé sur l'intensité et la vitesse d'exécution. C'est le cas sur
Those Whom The Gods Detest, qui paraît de prime abord bien plus brutal que
Ithyphallic avec un « Kafir » qui lance ce nouvel album sur des bases rythmiques on ne peut plus élevées. C'est le cas donc, mais en partie seulement, cette nouvelle offrande étant malheureusement trop souvent branchée sur courant alternatif.
Those Whom The Gods Detest est en effet, à l'instar de « Kafir », jalonné de hauts et de bas, de riffs dantesques indubitablement marqués du sceau de Nile, et d'idées pas toujours mauvaises dont la mise en pratique pêche par un contraste excessif. Vous savez pourquoi le Moyen Orient exporte plus son terrorisme que ses arts ? Peut être parce que les chants aux sonorités orientales sont à classer en 3e position des pires abjections sonores audibles à l'oreille humaine, après un solo de Radiohead et le freinage tardif d'un TVG. Rien de mieux donc qu'une bonne intrusion d'un goret éructant dans un dialecte aussi chantant qu'un râle de Grégory Coupet un jour de pluie pour briser net la dynamique d'un morceau pourtant parti sur de bonnes bases. Quelle idée aussi d'intégrer cet étrange vestige d'un système où le plus petit intervalle est le quart de ton à un style d'habitude si agréable à l'oreille (à défaut d'être toujours parfaitement juste). On a connu utilisation plus parcimonieuse de la part de Nile d'éléments extérieurs au death metal, et ce n'est pas l'apparition de chants additionnels sur le refrain d'un titre éponyme mi-figue mi-datte qui fera mieux passer la pilule. Même quand le groupe se contente du registre purement death metal il y a parfois encore matière à redire. Malgré une ouverture sublime « Hittite Dung Incantation » peine à retenir l'attention, et le très dynamique « Utterances Of The Crawling Dead » est en grande partie gâché par un break central bancal et un final monotone. Pourtant Nile ne touche réellement le fond qu'avec un « 4th Arra Of Dagon » franchement pénible, au refrain poussif et répété pendant plus de deux minutes... Il fût un temps chez Nile où lourdeur n'était pas synonyme d'épuration ni de manque de subtilité, et bien que le morceau soit sauvé par un Kollias en forme olympique, on tient tout de même là ce que Nile a fait de pire.
Those Whom The Gods Detest est pourtant illuminé par une seconde moitié d'album à même de le faire remonter dans l'estime de n'importe qui se lamentant du Nile de « Excration Text » ou de « Lashed To The Slave Stick ». Et quel contraste saisissant que celui proposé, juste après le plus mauvais titre de Nile, par un « Permitting the Noble Dead To Descend To The Underworld » ultra véloce et changeant, qui pourrait sans problème passer pour un morceau d'
Annihilation Of The Wicked, et n'est entaché que d'une durée totalement honteuse de trois minutes. Une preuve de plus, s'il en fallait une, que c'est dans un registre de pur brutal death que les américains excellent, car c'est bien là où le potentiel de ces formidables musiciens peut librement s'exprimer. Outre les vocaux toujours aussi excellents de Karl et surtout Dallas (qui est heureusement encore une fois majoritaire sur l'album), des solos plus que jamais délectables et parfaitement intégrés aux morceaux qu'ils accompagnent viennent saupoudrer l'ensemble de la touche nécessaire de folie à tout œuvre de Nile – celui du très bon « Kem Khefa Kheshef » me laisse toujours admiratif. Mais s'il fallait ne retenir qu'une seule prestation sur
Those Whom The Gods Detest, ce serait celle de Kollias, auquel on pourrait sans problème décerner la palme du batteur de l'année. Outre son endurance phénoménale (qui en elle même n'a jamais fait de grands batteurs) lui permettant un jeu à la fois extrêmement rapide et très dense, ses variations sont admirables : son jeu de cymbales et ses descentes de toms épileptiques épousent et accentuent désormais à la perfection les riffs du duo Sanders/Toler-Wade, et le rendu des riffs rapides est le meilleur que Nile ait eu à ce jour. Dommage au final que le groupe n'en profite pas totalement, à l'image d'un « Iskander D'hul Karnon » prometteur mais qui ne décolle pourtant jamais. Il est tout à fait déplorable qu'après un
Ithyphallic manquant de brio Nile tombe dans un travers opposé, en alternant le décevant et le brillantissime.
Car autant l'accalmie délicieuse de « The Infinity Of Stone », l'incommensurable lourdeur de « Eat Of The Dead » et les leads subjugantes du final de « The Essential Salts » participaient du charme d'un
Ithyphallic qui pêchait par manque d'intensité, autant
Those Whom The Gods Detest souffre de l'intégration hasardeuse des parties moyen orientales (vraiment moyennes pour le coup, la lourdingue « Yzed Desert Ghul Ritual In The Abandoned Towers Of Silence » brisant net la dynamique d'un album qui peine à prendre on envol), du manque d'envergure des passages les plus lents du disque (« Utterance Of The Crawling Dead » qui sombre dans la redondance, un « 4th Arra Of Dagon » interminable) et de la raréfaction des solis et autres guitares leads infernales qui impressionnaient tant sur
Annihilation Of The Wicked. Dans un jeu de miroir on ne peut plus inversé avec
Ithyphallic donc,
Those Whom The Gods Detest n'est jamais meilleur que lorsque ses géniteurs jouent la carte de l'excès comme sur « Permitting The Noble Dead To Descend To The Underworld » et « Kem Khefa Kheshef », deux titres foudroyant qui valent bien l'intégrale de Papyrus aux éditions Dupuis ou le temple de Rametep dans “Le Secret De La Pyramide”. On peut même pointer précisément le décollage véritable de l'album à compter de 1:01 sur « Permitting The Noble Dead », Nile passant définitivement la vitesse supérieure à 1:31 avec l'irruption de leads d'une terrifiante efficacité - le meilleur passage de l'album avec un ralentissement sur-violent à 1:51 où George Kollias fait un massacre à la double pédale - comme sur l'inaltérable « Lashed To The Slave Stick » et les riffs d'anthologie de « Kem Khefa Kheshef » rappelant à notre bon souvenir la pas si lointaine « Cast Down The Heretic ».
La deuxième partie de programme, plus brutale et bien plus inspirée, justifie donc l'achat de la galette (la somptueuse édition digipack vaut bien quelques livres égyptiennes de plus) même si Nile a toujours plus de facilité à lancer les hostilités (« Kafir », à classer tout de même parmi les temps forts) qu'à expédier les affaires courantes en fin de parcours avec un morceau qui ne casse pas une patte à un gardien parisien (« Iskander Dhul Kharnon »). Reste un gros point d'interrogation après un album pareil, qui conforte le groupe dans sa position dominante sans écarter loin s'en faut divers prétendants au trône comme Behemoth, pour n'en citer qu'un
(nd von_yaourt : Je tiens à me désolidariser de l'ami Thomas sur ce point, tant les américains donnent ici une leçon de death metal aux polonais). Quelle orientation future pour Nile ? Le retour au tout brutal comme semble le préfigurer
Those Whom The Gods Detest ? Ou un ralentissement général du tempo afin de soigner l'intégration de parties acoustiques et orientales qui font malgré tout partie intégrante de la palette de jeu des américains ? Au vu des faiblesses de
Those Whom The Gods Detest sur ce plan, on serait tenté de prier pour que Karl Sanders et Dallas Toler-Wade poussent plutôt la machine dans ses derniers retranchements rythmiques mais la sortie de toute œuvre majeure s'accompagnant forcément d'une prise de risque (désormais beaucoup plus exposé, Nile ne pourra pas se contenter éternellement d'assurer le minimum syndical), l'option du contre pied total représente peut être une issue préférable à un bon album de death metal supplémentaire.
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