Dark Fortress - Ylem
Chronique
Dark Fortress Ylem
A la recherche perpétuelle de nouveaux horizons toujours un peu plus sombres et maléfiques, les six trublions allemands de Dark Fortress continuent, album après album, leur inébranlable évolution. Mené depuis plus de quinze ans par la tête pensante et dernier membre fondateur Asvargyr, la formation refait enfin parler d'elle en cette assez terne année 2010, qui il faut bien le dire, est loin de rencontrer la fécondité et la qualité qu'on a pu reconnaître à la scène métallique il y a quelques temps. Deux ans après la sortie d'un Eidolon de bonne facture mais ne possédant pas encore la maturité et l'ingéniosité nécessaires qui leur auraient permis de se libérer de toutes contraintes de style quelles qu'elles soient, c'est avec une nouvelle offrande répondant à l'audacieux nom de Ylem (substance fondamentale qui serait à l'essence de toute matière) que le groupe décide de revenir afin de torturer nos esprits tourmentés et d'obscurcir le peu d'espoir qu'il nous reste. Confirmant depuis plusieurs années les espérances qu'on avait placé en lui et s'affirmant même comme un des fers de lance les plus prometteur de l'art noir germanique définitivement ancré dans son idéologie contestataire et anticonformiste, aux côtés de formations comme Farsot ou Secrets Of The Moon, Dark Fortress semble enfin être parvenu à trouver le bon compromis entre conventionalité et expérimentation. En se débarrassant habilement de ses quelques inspirations trop flagrantes et en se démarquant de toutes grossières empreintes musicales sans pour autant retourner sa veste une seule seconde, le sextuor réussit le véritable tour de force de se lancer sur sa propre voie tout en restant judicieusement sur les rails de son univers ésotérique et inquiétant.
Affirmant encore une fois leur volonté manifeste de se démarquer de la masse black metal européenne grouillante d'autant de groupes talentueux que de formations lambda sans grand intérêt participant à cette saturation commune à la plupart des scènes extrêmes, nos six fauteurs de troubles n'opèrent certes pas de virement de bord impromptu en continuant sur la lancée de Seance et Eidolon, mais prennent en revanche le soin d'éradiquer toutes les imperfections qu'on pouvait leur reprocher ; transformant donc leurs anciennes difficultés à franchir certaines barrières stylistiques qui entachaient leur recherche de création la plus libre possible en un lointain et presque anecdotique souvenir. Il est d'ailleurs fort à parier que la stabilisation du line-up depuis maintenant plus de trois ans n'y est pas anodine. Si on pouvait effectivement penser que l'arrivée récente de Morean au chant en 2007 avait pu troubler la préparation du précédent album, c'est un groupe parfaitement en place qui apparaît sur Ylem, où le rôle de chacun est indispensable à la qualité de l'ensemble. Magistralement mené par la paire de guitariste Asvargyr et V. Santura, ayant notamment officié chez feu Celtic Frost et actuellement membre de Triptykon, qui nous noient sous un océan de riffs aussi acérés et malsains que mélodiques et émotifs, renforcés par les apparitions de Paymon aux claviers qui apportent toute une profondeur à l'ambiance noire et presque religieuse qui règne sur l'album, le tout soutenu par une rythmique irréprochable du couple basse / batterie de Draug et Seraph. C'est donc dans une démarche de dépassement de soi, de débridage musical et de liberté de composition que Dark Fortress nous livre ce qui pourrait être sa pièce maîtresse et s'impose sans conteste comme chef de file de la scène black metal germanique.
C'est sur l'hypnotique et saisissant riff d'introduction du morceau éponyme que le groupe amorce son album, justifiant dès lors les éloges de Century Media à son égard, jonglant avec habileté entre mélancolie et agressivité comme l'ont réussi certaines formations de la sphère black metal aussi talentueuses que diamétralement différentes, à l'image de Arckanum, Shining, Abigor ou Mayhem, et jouant à de nombreuses reprises avec l'aspect progressif qu'un Opeth n'aurait pas renié à travers des longues et riches plages atmosphériques qui assombrissent un peu plus encore le climat déjà glacial et angoissant de ce Ylem aux relents décidément scandinaves. Même si chaque élément, même le plus insignifiant, participe à la création de cette ambiance ô combien aliénante et torturée, il serait impensable de ne pas saluer en premier lieu l'incroyable prestation de Morean qui réalise ici non seulement sa meilleure performance, mais qui s'affirme aussi comme le meilleur vocaliste du groupe tant son chant véritablement sorti d'outre tombe glace le sang et happe l'auditeur instantanément. Après cette éprouvante et au combien malsaine première expérience dans le monde tourmenté et fascinant de Dark Fortress, "As The World Keels Over" débute, lente et lancinante, un nouvel univers tout aussi noir s'offre à nous, aussi majestueux qu'addictif. Que dire de l'atmosphère lourde et démoniaque qui plane sur "Osiris", de la puissance dévastatrice et inaltérable de "Silence" ou de la beauté quasi mystique de "Evenfall" ? Tout simplement que c'est un véritable tour de force que viennent de réaliser sous nos yeux les allemands, parvenant à rendre logiques, évidentes et presque imperceptibles toutes leurs dérives musicales, enrichissant incroyablement leur black metal d'origine en un tout parfaitement cohérent et homogène.
Semblant sombrer posément dans une dépression irrémédiable sur "Redivider", le triplet "Satan Bled", "Hirundineans" et "Nemesis" qui vient renouer avec le passé du groupe redonne intelligemment un rythme plus véloce, nécessaire à la tenu de ces soixante-dix minutes éprouvantes et pourtant accrocheuses. La dualité entre solennité et schizophrénie qui s'est établie dès les premières secondes de "Ylem" devient omniprésente, laissant ainsi l'album tanguer en permanence entre fruit de la création de ses géniteurs et véritable défouloir, journal intime de ceux-ci, hurlant leur haine et leur malaise à travers ces onze odes au pessimisme et à l'abattement. Cette fragilité est on ne peut plus palpable sur la lente et abyssale descente dans l'infini noirceur de "The Valley", où la tension atteint son apogée tandis que Morean vomit littéralement sa perception du monde, esclave du riffing enivrant de V. Santura et Asvargyr, qui signe ici son chef d'œuvre. Mais aucune prose ne pourra décrire avec précision cette interminable et douloureuse mélopée où sensibilité et rage ne font qu'un, alors peut-être vaut-il mieux laisser quiconque est près à tenter l'expérience, s'y perdre indéfiniment. Soudain, alors que tout espoir semble perdu, vient "Wraith", la dernière épreuve que nous inflige Dark Fortress nous emmenant avec douceur dans un monde morbide et désespéré, où l'apparente tranquillité ne fait que cacher malaise et souffrance.
Puis tout s'achève, le néant que laisse l'album après sa dernière note ne laisse qu'une seule idée en tête, retenter ce voyage pénétrant, mystique et dérangeant tant son contact est fascinant et enrichissant. C'est alors que l'aspect exutoire déjà évoqué en ces lignes s'applique cette fois à l'auditeur, irrémédiablement attirer à tout reprendre à zéro, depuis l'explosion d'énergie des premiers morceaux jusqu'à l'agonie effrayante mais apaisante de la longue outro. Il me paraît évident que cet album ne fera pas l'unanimité, s'attirant les foudres de certains comme les éloges d'autres, mais n'est-ce pas ici la signature d'une œuvre complexe et difficile d'accès, qui demande un temps d'approche considérable et une ouverture d'esprit un tant soit peu développée ? Peut être que mon tempérament radical y est pour quelque chose, que j'aime sans retenue de la même manière que je peux haïr démesurément, mais je pense que cet album peut toucher comme il m'a touché toute personne prête à vivre l'expérience qu'il propose. Mais après un tel déballage de superlatifs et de termes à consonances poétiques qui pourrait presque faire croire qu'on m'a payé pour écrire cette critique, pourquoi ne pas flanquer à cet album la note maximale ? Parce que malgré ses innombrables qualités, je ne peux pas le faire sans avoir l'impression de gravement m'enfoncer dans la surenchère, c'est l'absence de ce petit quelque chose indéfinissable qui m'en empêche, peut-être est-ce le sentiment que le groupe peut encore mieux faire, que malgré toute leur bonne volonté et un certain chamboulement des codes établis jusqu'ici, cet opus ne révolutionne le genre comme le groupe l'aurait voulu, ou que sur le plan émotif, il joue dans une cour remplie de mastodontes face auxquels il ne fait pas encore le poids. Quoiqu'il en soit Dark Fortress, sans parvenir à justifier ce que suggérait le titre de son album, ne délivre pas moins qu'une des, si ce n'est la meilleure surprise qu'il m'ait été donné d'écouter en cette année 2010, plaçant Ylem parmi les plus belles œuvres du black metal allemand.
| Squirk 30 Octobre 2010 - 3109 lectures |
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