Deux ans séparent
« The Mind's I » de « Projector ». Sur le plan artistique c'est énorme, car tant de choses peuvent advenir dans l'esprit d'un musicien en deux ans... Certains décident de nous resservir la même recette, d'autres décident d'explorer de nouveaux horizons musicaux…les musiciens de Dark Tranquillity n'ayant décidés de ne s'imposer aucune limite, « Projector » est à mi-cheval entre les deux approches, mais il marque clairement une rupture dans le « son » du groupe. Fini le death mélodique qui fleurait bon le At The Gates, place à un métal toujours ancré dans le Death mais avec une sensibilité quasi gothique (dans le bon sens du terme bien entendu), et agrémenté de touches de piano, d'effets électros (une première pour le groupe, si on excepte le remix « Archetype » présent sur
« Enter Suicidal Angels »), et surtout surtout…de la découverte en Mikael Stanne d'un chanteur absolument hors normes, qui dévoile pour la première fois vraiment pleinement son don pour un chant clair sublime, qui rend ce « Projector » tellement unique en son genre.
Un tel disque n'ayant que peu de points communs avec ses prédécesseurs (et le groupe arrivant de toute façon à la fin de son contrat avec Osmose), c'est donc Century Media qui récupère Dark Tranquillity dans son écurie, une union qui assurera au groupe un soutien promotionnel et financier bien plus conséquent. Car « Projector » est un disque très ambitieux, tant dans sa musique que dans sa réalisation : les chansons sont alambiquées, tantôt très simples dans leur structure (« Therein », « The Sun Fired Blanks »), tantôt très complexes (« Nether Novas », « To a Bitter Halt ») ; et pourtant on rentre très vite dans l'univers sombre et velouté qu'impose l'écoute de cet album, les deux perles qui débutent l'album n'y étant pas étrangères. En effet, comment commencer de plus belle manière un des albums les plus marquants de 99 qu'avec les quelques notes diaphanes de piano de « Freecard », rapidement rejointes par une base plus métal, et dès le refrain le chant clair de Stanne qui exprime une mélodie vocale tout simplement sublime. On se remet à peine du choc (quel changement par rapport à la férocité tourmentée de
« The Mind's I » !) que voilà « Therein » et son refrain lui aussi en chant clair, qui donne des frissons tant l'émotion est perceptible…. « Undo Control » signe le retour du chant féminin chez Dark Tranquillity, une constante depuis le premier album (et malheureusement sa dernière apparition, du moins pour le moment), et qui contrebalance le chant démoniaque de Mikael Stanne, qui hurle « I resist without control », laquelle ligne de texte est changé en live par « I resist with alcohol, with the drugs and alcohol » (entendu sur plusieurs bootlegs du groupe..). (Personnellement, voir un chanteur que j'admire tant changer les paroles d'une chanson pour en exprimer d'autant plus clairement le sens premier, ne fait que me rendre encore plus fan de ce groupe…)
Je ne vais pas vous faire un bête tracklist, sachez simplement que la suite est tout autant magnifique…« Auctionned », première ballade chez le groupe et une fois de plus une perle du genre, uniquement du chant clair, des guitares aériennes et de voluptueuses notes de piano, pour ce qui est peut être bien la chanson la plus poignante de l'album…. « The Sun Fired Blanks » plus classique et le titre rappelant le plus l'ancienne époque du groupe, mais quand on tient un titre de death mélodique aussi ravageur et si brillament composé on ne peut s'en plaindre… « Nether Novas » ou la synthèse parfaite de « Projector », comprenant tout ce que propose l'album : chant clair sublime, chant death rageur, mélodies sublimes, breaks parfaitement amenés et arpèges aériens… « Day to End », l'expérimentation électro dont je parlais précédemment, une sorte d' « Auctionned » version électro (du moins sur la première partie), tout aussi magnifique et riche en émotions…et enfin « On Your Time » et son final ravageur, qui amène brusquement la fin de l'album sur un tempo rapide qu'on pensait reléguer aux oubliettes…Une fin rageuse, comme si le groupe s'en voulait de s'être tant dévoilé et décidait de conclure l'album sur une touche d'agressivité, réflexe très humain pour masquer son émotivité…
Relisant ce paragraphe, je m'aperçois que j'ai justement fait une « chronique_tracklist » (ho ben zut alors), occultant simplement deux chansons qui valent en qualité leurs consoeurs « To a Bitter Halt » et « Doberman » : le mal est réparé.
« Projector » est l'intrus de la discographie de Dark Tranquillity, un extraterrestre, une perle noire dont tous les fans rêvent secrètement d'une suite un jour (au même titre qu'un « Reign in Blood II » ou un « Return to the Gallery »), mais si de tels espoirs sont certainement voués à l'échec il sera toujours possible de se réécouter ce « Projector » hors normes. Ce fut mon premier album de Dark Tranquillity, que j'ai aimé dès la première écoute et qui fait partie des pierres édificatrices de mon éducation métallique. Indépendamment (ou pas héhé) de tout jugement de valeur personnel, « Projector » est d'une telle richesse musicale et émotionnelle qu'il mérite un 10 sans aucune hésitation. Comme je l'ai souvent dit dans mes chroniques, trouver des qualificatifs traduisant avec suffisamment de précision une telle musique est souvent proche de l'impossible, c'est pourquoi je me contenterais de conclure avec cette ligne de texte de « Constant »
(The Mind's I ) : « This is a magic that a name would stain »…
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