Circle Takes the Square - As the Roots Undo
Chronique
Circle Takes the Square As the Roots Undo
L’adolescence comme crash test. Rares sont les albums de screamo – dont c’est pourtant le domaine émotionnel – à avoir capté cette phase de découverte totale, où le cerveau assimile en bloc ce qui le traverse sans pour autant l’analyser, une expérience sensitive qui n’est pas encore ternie par les mots. Un émerveillement constant, devant des choses qui, plus tard, seront vues à nos yeux comme quotidiennes, la pensée chargée d’en recueillir les traces là où autrefois un effleurement suffisait.
Ce sentiment pur, se nourrissant de regard, goût, odeur, palpation et palpitation, est bien ce que transmet cet album de Circle Takes the Square. Quatorze ans après sa sortie et presque autant depuis sa découverte, il garde ce pouvoir d’évocation, où les déambulations habituelles dans des rues connues deviennent une occasion de se réapproprier l’environnement, dans une amnésie emmenant vers la féerie des premières fois. Pourtant, sur le papier, on ne fait pas plus typique que As the Roots Undo : prenant pour base un screamo mélodique et nerveux, se nourrissant de la scène post-hardcore des années 90 ainsi que des structures et riffs éclatés du mathcore, les Ricains semblent pouvoir être pris en exemple de ces nombreux groupes qui, après Orchid, après Converge, à peu près en même temps que Envy, ont mélangé et modernisé les styles typés « core ».
Mais le lire n’est décidément pas la même chose que le vivre : As the Roots Undo reste, encore aujourd’hui, une œuvre unique dans le fond et la forme. Une œuvre unique parce que, contrairement à sa décevante suite (Decompositions: Volume Number One), elle ne rejoint le metal, cette musique d’adulte à la rudesse maîtrisée, réfléchie, que par hasard, dans des cris et convulsions qui frôlent un black metal tourné vers la vie, l’abrasivité devenant l’expression d’une excitabilité à fleur de peau. Parce qu’elle décide de se laisser aller dans ses rêveries et ses spasmes, embrassant une manière de faire à la fois punk et poétique, à la façon des surréalistes qui, dans l’accumulation des mots et paradoxes, entrevoyaient « autre chose ». Parce qu’elle se situe dans la juste frontière entre naïveté et intelligence, son avancée ressemblant à un retour, la profondeur de ses compositions creusant vers l’enfance. Parce que sa beauté est celle d’une expérience de l’éphémère maintes fois renouvelée, les mélodies se juxtaposant, s’alliant, se succédant, dans une logique qui n’a rien d’intelligible et tout de sensible. « Tout a déjà été fait ; mais je veux le faire encore » : pris d’une faim avide, mentale, envers ce qui l’entoure, Circle Takes the Square ne cesse de vouloir essayer, manipuler, capter et capturer chaque instant, chaque seconde, note, riff, vocalise, devenant un fleurissement de mille émotions entremêlées.
Bien sûr, on pourra mettre As the Roots Undo parmi ces disques qui travaille le noir, énième manifeste ciselé – jusqu’à un son parfait, aussi limpide que coupant – d’une bande vénérant la violence, la tristesse, la beauté des larmes et l’agression des armes… Le chaos en somme, s’exprimant dans une totalité ayant fait de son imperfection, de ses baisses, une autre expression de l’inachèvement dont il est la mise en musique. Mais non, je m’y refuse. Car derrière ces accalmies mélancoliques, derrière cette rage, derrière cette disharmonie où les mélodies se rencontrent, sont en conflit les unes avec les autres et s’unissent un bref moment avant de partir chacune sur leur propre chemin, je ne peux pas m’empêcher de voir une retrouvaille avec une ivresse que je suis désormais incapable de ressentir seul, celle de mon esprit silencieux se laissant envahir par le vacarme du monde. Oui, As the Roots Undo, plus qu’un album parfait, plus qu’un album où jouer les torturés, plus qu’un album où exalter ses envies de battre et combattre, est un album de joie retrouvée dans l’éparpillement, l’absurdité comme terrain de jeu. Un plaisir que, grâce à lui, par lui, je peux encore vivre.
| lkea 15 Juillet 2018 - 1463 lectures |
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