Mad Season - Above
Chronique
Mad Season Above
Si vous avez vécu de près l’explosion de la scène Rock alternative au début des années 90, il y a probablement très peu de chances pour que vous soyez passé à côté de cet unique album de Mad Season. Largement encensé par la presse spécialisée qui, faute d’Internet dans les foyers, avait encore pignon sur rue, celui-ci n’a pas manqué d’attirer l’attention de tous ceux ayant déjà succombé aux charmes des Pearl Jam, Nirvana, Alice In Chains, Soundgarden et autre Smashing Pumpkins. La faute à un line-up deluxe ayant de quoi faire saliver n’importe quels jeunes boutonneux aux cheveux longs, jeans troués et chemises à carreaux et à cet artwork (une illustration de Layne Staley inspirée par une photo de lui et de sa petite amie Demri Lara Parrott) particulièrement iconique. Seulement voilà, à une époque où le MP3 n’était même pas encore un concept dans la tête des gens et où les compilations CD attachées aux magasines n’existaient pas encore, il vous fallait soit de l’argent de poche et un flair infaillible soit quelques copains déjà bien inspirés. À titre personnel, en plus de tendre vers des sonorités plus extrêmes, je n’ai eu à ce moment là ni l’un ni l’autre ce qui explique pourquoi il m’aura fallu plusieurs années avant que je me penche finalement sur ce disque... Mais avant toute chose, laissez moi entamer les présentations d’usage.
Les premiers balbutiements du groupe remontent ainsi à 1994 lorsque Mike McCready (Pearl Jam, Temple Of The Dog) fait la rencontre du bassiste John Baker Saunders (Hubert Sumlin, The Lamont Cranston Band, The Walkabouts) dans un centre de désintoxication de Minneapolis. De retour à Seattle, les deux garçons vont embarquer avec eux Barrett Martin, ancien batteur des pionniers de Skin Yard et en activité au moment des faits chez les excellents Screaming Trees. Après un court moment à opérer sous la forme d’un trio, le groupe se décide tout de même à embaucher un chanteur. Mike McCready va alors solliciter les talents de son ami Layne Staley (Alice In Chains) dans l’espoir que celui-ci, entouré de gens sobres, en finissent avec la drogue. Quelques semaines plus tard, ces derniers iront s’enfermer une dizaine de jours au Bad Animals Studio de Seattle en compagnie du producteur Brett Eliason (Pearl Jam, Brad, Screaming Trees, Neil Young...). Cette collaboration donnera lieu le 14 mars 1995 à ce premier et unique album intitulé Above sous la bannière de Columbia Records.
Lorsque j’y réfléchi, je me dis qu’il n’est pas plus mal que la découverte de cet album se soit faite plus tardivement. Je sais pertinemment que je n’aurai pas accroché à ces compositions plus jeune. Car s’il reste un disque de son époque, attaché pour tout un tas de raisons évidentes à la scène Grunge de Seattle (line-up, origine, période…), il n’en demeure pas moins très éloigné des albums de Pearl Jam, Alice In Chains ou Screaming Trees, de cette énergie et de cette crasse Punk revendicatrice qui animait les premiers balbutiements du mouvement dès la seconde moitié des années 80. Beaucoup plus posée et intimiste, la musique de Mad Season se caractérise finalement par une espèce de pudeur et de retenue qui, à plus d’un titre, traduit également la fin de toute une époque et de cette folle effervescence qui aura animé Seattle pendant près d’une décennie particulièrement haute en couleurs.
Composé en une petite semaine seulement, il flotte sur les compositions d’Above un certain esprit de liberté, l’impression d’écouter des morceaux en perpétuel mouvement, un peu comme s’il s’agissait d’une jam session de fin de soirée entre potes évidemment intoxiqués mais pour autant en pleine possession de leurs moyens. À la croisée des chemins, ce premier album va ainsi explorer des contrées jusque-là rarement abordées par ces talentueux musiciens dans leurs groupes respectifs. Entre Soul, Blues, Jazz et Rock, l’univers feutré de Mad Season se trouve en effet à des années lumières de ce que la scène alternative de Seattle à pu produire jusque-là. Pour autant, elle n’en reste pas moins attachée justement pour cette farouche liberté qu’elle symbolise et défend et ces introspections particulièrement poignantes abordées par un Layne Staley toujours aussi envoutant et torturé. Car sans surprise aucune, et cela malgré le talent des trois musiciens qui l’accompagne, c’est bien lui qui porte et transcende cette petite dizaine de compositions de sa voix suave au timbre meurtri si particulier. Une voix qui d’ailleurs n’est pas sans faire écho aux digressions intimistes de Sap et Jar Of Flies. Néanmoins, à la différence d’Alice In Chains (en tout cas sur album), il n’y a chez Mad Season aucun accès de colère puisque même si Layne élève la voix de temps à autre comme par exemple sur "I’m Above" ou "I Don't Know Anything", ses interventions sont à l’image de cette musique, c’est à dire tout en nuances et en subtilités avec en trame de fond une tristesse et la solitude parfaitement palpable : "My pain is self-chosen. At least I believe it to be. I could either drown. Or pull off my skin and swim to shore. Now I can grow a beautiful shell for all to see".
Si nous avons abordé l’essentiel de cet album à travers ces quelques paragraphes, j’aurai tout de même du mal à conclure cette chronique sans évoquer certains autres points à commencer par cette basse absolument délicieuse qui, avec une douceur et une discrétion étonnante, va venir nous caresser les oreilles (rien que l’introduction de "Wake Up" suffit à me donner des frissons). Son expérience avec des musiciens de Blues fait certainement toute la différence. Quoi qu’il en soit, ces lignes de basse sont un véritable régal qui apporte groove et caractère à ces compositions. Que dire également de Mike McCready et de son jeu bluesy qui déborde de feeling. L’unique album de Temple Of The Dog en était déjà la démonstration mais c’est encore plus flagrant ici. Il suffit d’écouter des titres comme "Wake Up", "X-Ray Mind", "Artificial Red" ou l’instrumental "November Hotel" pour se rendre compte à quel point le guitariste de Pearl Jam ne manque pas de talent. Comment ne pas évoquer non plus les deux participations ("I'm Above" et "Long Gone Day") de monsieur Mark Lanegan à la voix déjà si âpre et fatiguée ? Une voix chaude et rugueuse d’un homme qui semble avoir déjà tout vécu et dont il ne reste plus que les regrets et les souvenirs... Enfin par ce qu’il est temps d’en finir, impossible de ne pas évoquer la richesse des instruments utilisés tout au long de cet album intemporel. Outre le sacro-saint triptyque guitare/basse/batterie, on va retrouver tout au long de l’album des touches de claviers, de percussions, de violoncelle, de vibraphone, de marimba et de saxophone. Une diversité instrumentale qui va apporter une vraie richesse supplémentaire ainsi qu’une variété de sonorités à ces compositions pourtant déjà si envoûtantes.
Malgré l’enthousiasme des débuts et les retours extrêmement positifs dans la presse comme sur les planches, Mad Season n’arrivera pas en dépit de quelques tentatives à donner une suite à cet album. Les emplois du temps particulièrement chargés de chacun seront naturellement un problème majeur mais ce sont surtout les décès par overdose du bassiste John Baker Saunders en 1999 et de Layne Staley en 2002 qui viendront sceller le destin tragique de cette formation pourtant si brillante dont l’unique album reste à ce jour l’une des plus belles pièce musicale sortie de la scène Grunge de Seattle. Un disque intemporel qui aujourd’hui encore continue de nous remuer les tripes et de nous hérisser le poil.
P.S. : Sachez qu'une version deluxe CD/DVD sortie en 2013 propose en plus tout un tas de titres inédits et autres enregistrements live, notamment ceux composés par Mark Lanegan lorsque le groupe à tenté de refaire surface sous le nom de Disinformation ou encore la prestation du groupe au Moore Theater de Seattle. Un bon complément pour tous ceux qui n'en aurait pas eu assez.
| AxGxB 12 Mars 2021 - 1375 lectures |
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