Plus ou moins relégué au second plan depuis la sortie de son premier album en 2017 (l’excellent
Eroded Corridors Of Unbeing) au profit notamment de Blood Incantation mais également d’autres projets parallèles particulièrement dignes d’intérêt tels que Black Curse, Naturgeist, Stormkeep ou bien encore les aventures solo de Paul Riedl, Spectral Voice s’est effectivement montré relativement discret tout au long de ces sept dernières années avec pour seules consolations quelques maigres mais néanmoins délicieuses offrandes (je pense notamment à ces trois splits en compagnie de Vastum (2018), Anhedonist (2020) et Undergang (2023)) sensées nous faire patienter jusqu’à ce que la formation se décide à sortir enfin de sa tanière pour un retour en bonne et due forme... Annoncé début décembre, ce nouvel album évidemment très attendu n’a pas manqué de susciter l’enthousiasme puisqu’à titre d’exemple Dark Descent Records affirme avoir déjà expédié plus de 700 pré-commandes alors même que l’album n’est pas encore officiellement sorti.
Intitulé
Sparagmos en référence à la mythologie grecque et aux Ménades hystériques (ces adoratrices de Dionysos et de Bacchus) qui dans leur folie vont prendre un plaisir sadique à démembrer hommes et animaux et à en dévorer leurs chairs crues, ce deuxième album est passé comme ce fut d’ailleurs le cas pour
Luminescent Bridge entre les mains du producteur Arthur Rizk (Black Curse, Blood Incantation, Power Trip, Enforced, Tomb Mold et j’en passe). Pour l’occasion, celui-ci a pris en charge l’enregistrement, le mixage et le mastering de ces quatre nouvelles compositions pour un résultat ne souffrant évidemment d’aucun défaut. Mais avant de pouvoir jeter nos oreilles sur ces quelques titres ce qui dans un premier temps va surtout attirer le regard c’est plutôt cette composition sobre et pourtant incroyablement sinistre qui orne la pochette de ce nouvel album. Une oeuvre effroyable signée des mains de Manifester, un artiste dont on ne connait que le pseudonyme mais dont les travaux accompagnent Spectral Voice depuis 2015 et la sortie de
Necrotic Doom.
Comme on pouvait s’y attendre (et surtout comme on pouvait le souhaiter), ce retour aux affaires n’est pas synonyme d’une quelconque renaissance artistique. En effet, les quatre garçons derrière Spectral Voice ont peut-être pris tout leur temps pour composer les quelques titres de
Sparagmos mais ce n’est pas pour autant que ces derniers ont eu à coeur de chambouler l’existant et de bouleverser leur formule. L’ayant déjà fait de manière plus ou moins significative avec Blood Incantation sur ses deux dernières sorties (
Timewave Zero et
Luminescent Bridge) et en s’autorisant bien des digressions (cf. tous ces projets parallèles évoqués plus haut), l’envie de s’essayer à de nouvelles choses ou d’y amener de nouvelles sonorités n’était probablement pas spécialement à l’ordre du jour.
Du haut de ses quarante-cinq minutes, ce deuxième longue-durée n’est donc fondamentalement pas bien différent de son prédécesseur puisque l’on va y retrouver tous les éléments constitutifs d’un album estampillé "Death / Doom". Aussi à l’instar d’
Eroded Corridors Of Unbeing,
Sparagmos déroule sans grande surprise les mêmes caractéristiques comme par exemple ces longues séquences plombées égrenées le long de compositions s’étirant sur plusieurs minutes (entre sept et treize), ces ambiances funéraires dans lesquelles se drape chaque composition, ce rythme lent et processionnaire, ce growl à la fois profond et désespéré ou bien encore ces petites notes spectrales et solitaires à la sauce Evoken et diSEMBOWLEMENT... Des gimmicks que les Américains n’ont bien évidemment pas inventés mais que ces derniers ont su parfaitement s’approprier afin d’offrir une musique totalement habitée et toujours très efficace.
En effet, l’une des particularités de Spectral Voice est d’opposer à ces longues tirades particulièrement sinistres de sérieux coups de chaud aussi jouissifs que libérateurs. Un contraste dynamique particulièrement savoureux qui se manifeste une fois de plus par quelques brèves séances de blasts toujours aussi féroces et intenses. De "Be Cadaver" à 6:34 aux premières secondes tonitruantes de "Red Feasts Condensed Into One" à laquelle succèdera une autre séquence musclée à partir de 4:10 en passant par "Sinew Censer" à 0:54 et 6:46, les démonstrations de force ne manquent pas et permettent à chaque fois d’apporter un relief particulièrement saisissant entre ces instants de torpeurs et ces explosions sauvages d’une violence inouïe.
L’autre gros point fort de
Sparagmos et qui à vrai dire constitue sa seule véritable "nouveauté" (je fais le choix de passer sous silence certains arrangements pourtant bien sentis) est le chant d’Eli Wendler. Si son growl profond s’avère toujours aussi excellent bien que malgré tout assez scolaire, ce sont surtout ces multiples interprétations de la folie qui donnent aux compositions de Spectral Voice une saveur si particulière. Des hurlements complètement possédés, des cris de souffrances et de douleurs insoutenables, des grognements torturés, sournois et sadiques qui à la manière de ce qu’il propose chez Black Curse occupent désormais une place de choix dans le Death / Doom des Américains (là où il ne s’agissait alors que de timides incursions sur
Eroded Corridors Of Unbeing où le growl abyssal était roi). Dans un autre registre et soucieux une fois encore de proposer une performance à même de marquer profondément les esprits, on appréciera également cette voix lointaine et aérienne aux intonations fantomatiques et religieuses évidentes ("Be Cadaver" à 9:29, "Red Feasts Condensed Into One" à 0:45 et 3:01, "Sinew Censer" à 5:18). Des lignes de chant qui permettent d’amener un petit peu de lumière à un disque pourtant très sombre. Enfin, puisque l’on en est à parler chant, notons que l’on va retrouver sur "Death's Knell Rings In Eternity" un certain Tim Mellon (Pissgrave, Ulcerot) venu prêter main-forte à monsieur Wandler. Une participation marquée une fois de plus par ce chant ultra-saturé dont il s’est fait une spécialité même si, à moins de le savoir, il est difficile de le remarquer.
Même si Spectral Voice n’a jamais manqué de se rappeler à nos bons souvenirs tout au long de ces sept dernières années, il était tout de même temps que la formation originaire de Denver nous fasse le plaisir de sortir un nouvel album. C’est aujourd’hui chose (presque) faite avec
Sparagmos qui, en plus de ne pas décevoir, place même la barre encore un petit peu plus haut grâce en grande partie à la prestation vocale totalement habitée d’Eli Wandler. En soit cela n’a rien de surprenant car on le savait tout à fait capable d’amener ce genre de voix complètement dérangées et habitées (je vous renvoie au premier album de Black Curse, l’excellent
Endless Wound) mais jusque-là avec Spectral Voice celui-ci faisait encore preuve d’une certaine retenue. En embrassant pleinement ses aptitudes vocales, le batteur au caractère pourtant discret apporte avec lui une folie supplémentaire qui rend la formule de Spectral Voice encore plus ultime. Alors certes le groupe s’est fait cruellement attendre mais à l'écoute de ce nouvel album nul doute que cela en valait la peine.
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