Révélé aux amateurs de Black Metal avec la sortie en 2015 de
Kręte Drogi, Death Like Mass aura tout de même attendu pas loin de dix ans avant de sortir son premier album. Il y a bien eu deux autres EPs entre temps (
Jak Zabija Diabeł sorti en 2017 puis
Matka Na Sabacie paru deux ans plus tard) histoire d’entretenir la flamme durant toutes ces années mais on ne va pas se mentir, il était quand même grand temps que le trio passe enfin à la vitesse supérieure... Une attente incroyablement longue que l’on doit, au moins en partie, au fait que derrière cette entité autrefois mystérieuse se "cachent" (même si ce n’est plus le cas aujourd’hui) trois musiciens déjà largement occupés ailleurs, notamment au sein de Cultes Des Ghoules, Lvcifyre, Bestia Arcana, Sodality et Nightbringer.
Intitulé
The Lord Of Flies, ce premier jet longue-durée vient sceller cette collaboration avec le label norvégien Terratur Possessions entamée il y a trois ans à l’occasion de la sortie en vinyle de
Matka Na Sabacie. Enregistré à Londres sous la houlette du guitariste Tomasz Dziubich, celui-ci est illustré par l’Italien Daniele Valeriani dont on a déjà pu apprécier le coup de pinceau chez des groupes comme Attic, Candlemass, Dark Funeral, Lvcifyre, Mayhem, Triptykon ou bien encore Unanimated. Sans être particulièrement remarquable, cette œuvre qui par certains aspects me rappelle les excellents travaux de Jose Gabriel Alegría Sabogal pour Whoredom Rife (ce contraste entre le rouge de ces toges et cette crypte sombre dans laquelle se trouve ces personnages), n’en demeure pas moins suffisamment engageante pour nous donner envie de nous plonger dans ce que nous a concocté Death Like Mass et cela, même si à titre personnel, j’aurai préféré quelque chose de plus mystérieux et de moins équivoque que cet enfant sacrifié sur l’autel d’un quelconque culte satanique.
Si les identités très fortes de Cultes Des Ghoules et Sodality sont intimement liées à la présence de Marek Górecki derrière le microphone et à cette voix totalement hallucinée et particulièrement effrayante qui est la sienne, ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer qu’il est le seul facteur déterminant de ces deux projets. En effet, quiconque a déjà posé ses oreilles sur la musique de l’un ou l’autre sait à quel point ces deux entités se distinguent également d’une bonne partie de la scène Black Metal grâce à des compositions aux constructions étranges, peu harmonieuses (du moins en apparence) et extrêmement versatiles. De fait, si le line-up de Death Like Mass n’est pas tout à fait identique à celui de Cultes Des Ghoules ou de Sodality, les trois partagent néanmoins ce même attrait pour les compositions sinueuses, torturées et grinçantes. Une approche qui, si elle leur permet effectivement de faire la différence, va tout de même nécessiter de la part de nous autres auditeurs un appétit certain pour ce genre de Black Metal abrasif, déglingué et finalement assez exigeant faute de structures (toutes tracées) et de mélodies (faciles) auxquelles se raccrocher.
En effet, outre les vocalises perturbées d’un Left Hand Trip toujours aussi expressif lorsqu’il s’agit de raconter les ténèbres et la folie (avec désormais dans sa botte quelques envolées hallucinées à la Bølzer à l’image de ce que l’on peut entendre sur "Pan Niechcianych Grobów"), la musique de Death Like Mass se distingue également par le riffing rugueux, dépouillé et dégingandé d’un Tomasz Dziubich qui d’un côté enchaîne les séquences sinistres et hypnotiques et les moments non dénués de groove ("Wygnaniec" à 2:35, "Czwarta Bestia Z Góry Horeb" à 1:54, "Holy Traitor" à 1:40) et de l’autre les leads mélodiques vicieux et sournois tout en prenant soin également de varier les plaisirs en changeant de rythme quand bon lui semble. Ainsi, à la différence d’un Cultes Des Ghoules, il n’est pas rare d’entendre Death Like Mass corser le ton. En premier lieu grâce à quelques tapis de double dispensés même lorsque le rythme n’est pas à la bagarre générale comme c’est le cas par exemple sur "Czwarta Bestia Z Góry Horeb" à 1:10, "Pan Niechcianych Grobów" à 1:46 et 3:01, "Sorcery Unbridled" à 1:38 ou les premières secondes de "Holy Traitor". Néanmoins, ce sont surtout ces nombreuses séances de toupa-toupa ("Wygnaniec" à 0:02, 1:09 et 3:32, "Pan Niechcianych Grobów" à 0:48, 2:10 et 4:14, "Sorcery Unbridled" à 2:23, "Of Mercy And Bloodlust" à 2:27...) et autres blasts à la mitraille ("Wygnaniec" de 3:09 à 3:29, "Sorcery Unbridled" de 0:44 à 1:37) qui vont offrir aux compositions de
The Lord Of Flies ce relief et ces nuances nécessaires à la bonne appréciation de ce premier album.
Une combinaison d’éléments qui, associés à ces passages tout en retenue sur lesquels la batterie de Manuel Rodrigues se fait plus tribale et les riffs de Tomasz Dziubich encore plus dissonants et déglingués (les premières et dernières mesures de "Pan Niechcianych Grobów", la partie centrale de "The Killing Of Abel" à ou "Krocz Ze Mną, Ojcze"), lui confèrent le même genre d’atmosphères occultes et ritualistes à la sauce sorcellerie au Moyen-Âge (aidé en prime par quelques samples évocateurs (ces incantations servant d’introduction à "Pan Niechcianych Grobów", ces cloches sur "Sorcery Unbridled") et autres arrangements menés notamment à coups de nappes de synthétiseur comme c’est le cas sur "Sorcery Unbridled" et "Krocz Ze Mną, Ojcze") que l’on retrouve également tout au long de ces autres projets évoqués ci-dessus et dans lesquels trempent monsieur Marek Górecki.
Réservé aux oreilles averties ne craignant pas de fricoter avec un Black Metal étrange, hypnotique et dissonant,
The Lord Of Flies s’inscrit sans grande surprise dans la continuité des précédents travaux de Death Like Mass tout en prenant soin d’effleurer de nouveaux horizons en y incorporant notamment quelques sonorités rafraîchissantes. Dans tous les cas, le trio offre une lecture tout à fait personnelle et captivante de ce que peut-être le Black Metal sans pour autant manquer de respect aux fondamentaux ayant fait la particularité du genre. Certes, l’ensemble peut sembler difficile d’accès à cause de structures alambiquées, de changements de rythmes soudains et de riffs et autres séquences décousus et/ou incongrus mais lorsque l’on est ouvert et sensible à ce genre d’approche bien plus personnelle et en dehors de clous habituels, la musique proposée par le trio est ce que l’on peut appeler du "pain bénit". En attendant, dix ans après ses débuts, Death Like Mass prouve à ceux qui en doutaient ou qui avaient fini par perdre espoir qu’il a plus à offrir que de simples EPs, aussi convaincants soient-ils.
The Lord Of Flies est effectivement un album habité qui malgré ses largesses et prises de positions personnelles n’en reste pas moins fidèle à l’essence même de ce qu’est le Black Metal, une musique dangereuse et vicieuse, profondément inquiétante et assurément captivante.
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