Nous sommes en 2000. Le chiffre symbolique a été atteint (et dépassé) sans encombres et sans trop de dommages, si l'on excepte la disparition programmé de quelques sectes millénaristes et de millions de litres d'alcool (sans oublier les cachets d'aspirines du lendemain). Point de bug informatique, ni d'Apocalypse ou de torrents de sang, pour un peu on serait presque déçu… Ce passage supposé au nouveau Millénaire (qui n'a en réalité pas débuté en 2000, mais passons) par rapport à la date d'anniversaire de l'ami JC, n'a pas échappé à la perspicacité d'Immolation, qui entame cet album par un laconique
« Didn't you say… Jesus was coming ? »
Et c'est parti pour un voyage interminable au plus profond des entrailles de l'Enfer, direction plein Sud en sortant du Paradis… Ames sensibles et à la vocation religieuse affirmée, prière de rester sur la bordure du quai et de n'entrez sous aucun prétexte…
Jamais auparavant un album de Death Metal n'avait éveillé de tels sentiments chez moi. Pour moi le Death était avant tout un bon défouloir, voire dans ses aspects les plus mélodiques une évasion certaine et toute aussi agréable. Mais c'est véritablement avec cet album d'Immolation (mon premier du groupe) que j'ai découvert une autre facette du genre, une facette beaucoup plus sombre et étrangement attirante que le groupe de Gore / Grind / Death basique.
Tout cela tient déjà à des riffs hors du commun, marque du fabrique du groupe depuis ses débuts, et qui aurait pu s'affirmer déjà sur
« Failures for Gods » si la production de l'album en question permettait de les entendre distinctement.. Rob Vigna, compositeur principal du groupe, a en effet un style de « riffing » très particulier, que je n'ai retrouvé encore dans aucun autre groupe, et qui dégage réellement quelque chose de bien plus poisseux et méphitique que tout autre riff supposé « malsain ». Loin de se limiter à ça, le groupe aime également inclure des mélodies lancinantes, qui sont à des lieux de la petite ritournelle joyeuse qu'on écoute en boucle en pensant à des prairies ensoleillés en plein mois d'Août. Ici, l'image la plus appropriée serait plutôt une plaine désertique et stérile, longée par le Styx, le fleuve de l'oubli (pour rester dans les références mythologiques et infernales).
C'est donc dans un voyage vers les abysses les plus profondes que nous entraîne Immolation, qui démarre dès le premier blast de « Higher Coward ». Fini la production poussive de
« Failures for Gods », le groupe renoue avec Paul Orofino mais se dote enfin d'un son à la mesure de sa musique, puissant et ravageur. Ross Dolan est toujours magistral au chant, cette façon qu'il a d'aligner les paroles sur un ton implacable et de façon posée, sans hurler d'aucune façon… comme s'il nous lisait un livre à la conclusion fatale et irrémédiable, est tout simplement formidable. Le jeu de batterie d'Alex Hernandez est également à souligner, tant il ne ressemble à aucun autre : son utilisation constante des fûts, les signatures rythmiques improbables des riffs de Vigna auxquels il s'adapte systématiquement avec brio… on parle rarement de lui mais ce batteur mérite bien des éloges.
Et au milieu de tous ces musiciens, il y a ces 8 titres, comme toujours chez Immolation. La brutalité la plus pure s'exprime sur « Higher Coward », « Furthest from the Truth » ou « Put My Hand in the Fire », qui gardent cet esprit immédiat de brutalité inhérent au genre pratiqué, mais n'oublient jamais le break en milieu de titre qui pose mélodie lancinante sur solo torturé, accompagné de l'implacable Dolan qui proclame : « Put My Hand in the Fire / Put my Head in the Flames / I can believe /I know it hurts / My Skin is melting / I know it's real / My skin is melting / And it feels so right… » (1min55 sur “Put my Hand in the Fire”). Certains titres sont presque “groovy” en comparaison, notamment ce “Lost Passion” dont le riff d'intro rythmerait à merveille la progression d'une procession funéraire…
Le « tube » de l'album sera sans conteste « Father…you're not a Father », alignant refrain mémorable, rythmiques impressionnantes (écoutez le passage entre 1min30 et 1min54) et une surprenante accélération blastée à l'intensité remarquable.
De tous ces moments d'éclats, mon passage préféré est sans conteste la toute fin de « Fall from a High Place », de 3min24 jusqu'au terme du titre, ou se mêlent roulements de batterie interminables, mélodie lancinante, riffs de fin du monde, et Dolan répétant en boucle « Hang me high above all and nail me to forever / Never let me fall from this highest of places »..
L'album aurait aussi bien pu se conclure sur un tel titre qu'il aurait déjà été dans mon panthéon personnel du genre, mais Immolation fait encore mieux en proposant en guise de voyage final le titre éponyme, qui s'étend sur pas loin de 8 minutes et dont la lente progression jusqu'au climax final est tout bonnement savoureuse. La toute fin du titre, tel une sombre conclusion sans espoir de retour, associe elle aussi le schéma « mélodie hypnotique / déchaînement du batteur / descente progressive du volume sonore », nous entraînant irrémédiablement avec elle au fond du gouffre, gouffre au fin fond duquel certaines « choses » nous invitaient à les y rejoindre depuis… depuis le début de cet album magistral tout simplement.
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