Le 29 Octobre 2007, alors que le groupe voyageait entre deux concerts, son tour-bus eut un accident qui blessa très sérieusement à la tête Covan et Vitek, alors chanteur et batteur historique du groupe. Si Covan survécut péniblement à ses blessures, ce ne fût pas le cas pour Vitek, âgé seulement de 23 ans, qui succomba trois jours plus tard. Le monde du death metal pleurait la mort d'un de ses batteurs les plus précoces, auréolé de gloire alors qu'il n'était pas encore majeur au début des années 2000. C'est en 1996 qui naquit Decapitated, composé d'une bande de gamins musiciens prodiges dans leur lycée de Pologne, âgés de 12 à 16 ans. Après deux démos, c'est un split (avec entre autres Lost Soul et Yattering) qui va les faire repérer et signer par Wicked World, filiale des encore très actifs à l'époque Earache Records. C'est en 2000 enfin que le premier album du groupe,
Winds Of Creation sort, et il bénéficie instantanément d'une promotion importante, Earache oblige. Les musiciens à la réputation de jeunes prodiges étonnent, ils n'ont même pas vingt ans et jouent déjà comme des musiciens aguerris, rappelant la précocité des grands groupes qui ont façonné l'histoire du metal. Ce premier album sort à la bonne période, celle de l'émergence de la scène death polonaise, soutenue par le pilier Vader et son désormais culte
Litany à la grosse caisse si surproduite. D'ailleurs, il n'est pas étonnant de voir que Peter de Vader avait déjà pris sous son aile Decapitated, et s'est chargé de la production de
Winds Of Creation.
Disons-le sur ce premier album du groupe, ce n'est pas tant Vitek – dont le jeu est somme toute assez classique, moins démonstratif que ce qu'il fera ultérieurement, et manque encore un peu de variations et de variété – que Vogg qui impressionne. Sa précision digne d'un métronome montrait déjà le bout de son nez à l'époque, mise en exergue par les riffs très changeants qui laissent peu de place à l'approximation parsemant ce
Winds Of Creation,. Ses leads et solos eux aussi sont remarquables par la tension et la mélodie qu'il leur inculque, mais ce n'est pas (encore) la technique des musiciens qui leur vaut leur réputation en cette année 2000 : c'est bien la qualité indiscutable des compositions de l'album. Sur chaque morceau le refrain fait mouche, les riffs restant extrêmement lourds alors qu'ils sont pourtant empreints d'une mélodie certaine, ce qui permet aux compositions très brutales de demeurer constamment efficaces en ne tombant jamais dans les travers du dépouillement sonore du brutal death US (dédicace à Keyser). La variété des riffs de guitares et les nombreuses cassures dans les morceaux offrent d'ailleurs un contraste saisissant avec la voix extrêmement grave, profonde et presque monotone de Sauron, qui est pour beaucoup dans l'apport de brutalité à des compositions qui n'atteignent pas de hautes vitesses. C'est bien simple, Decapitated faisait à l'époque l'effet d'un Suffocation qui aurait mangé du lion, et troqué son background death américain pour l'école polonaise, ou si vous préférez : du Vader technique avec une voix d'outre-tombe.
Sauron est d'ailleurs pour beaucoup dans le succès d'estime qu'a connu le groupe dans sa première période car, de mémoire de yaourt, je n'ai pas connaissance d'un chanteur qui descend autant dans les graves tout en gardant puissance et maîtrise totale de sa voix (sans tomber dans le pig squeal ou autres raclements de gorge disgracieux, donc). Cette profondeur surprenante colle à merveille aux titres tous très efficaces de
Winds Of Creation, qui se valent tous en qualité à tel point que, hormis le titre éponyme, on ne peut pas dire qu'il y a de réel tube sur cet album. En effet dès le début de « Winds Of Creation », probablement le morceau le plus brutal qu'ait fait Decapitated dans sa carrière, et en tout cas le plus technique de cet album, la messe est dite. Impossible de ne pas être conquis par la personnalité que ces jeunes musiciens ont insufflé à leur brutal death très original pour l'époque, alors que la scène polonaise commence à peine à faire parler d'elle. Je resterai toujours admiratif des rythmiques véloces de « Blessed », du solo de « Nine Steps », du refrain de « The Eye Of Horus », des riffs envoûtants de « The First Damned », ou même de l'interlude « Danse Macabre » qui prend aux tripes avant la reprise de « Mandatory Suicide » (qui au passage est mieux réussie que le morceau original). Alors oui clairement, on pouvait à l'époque parler de jeunes prodiges, non pas par leurs prouesses techniques déjà présentes mais qui ne feront que s'accroître sur
Nihility tout de même plus diversifié, mais par leur sens de la composition, rarement aussi abouti chez des musiciens aussi jeunes.
Si quelques uns n'avaient pas su à l'époque entrevoir le réel talent des polonais (et je ne citerai aucun chroniqueur de Hard'N'Heavy),
Winds Of Creation avait fait forte impression, laissant entrevoir toute l'étendue des possibilités de Decapitated. Alors que Lost Soul, Yattering, Dies Irae, Devilyn, Hate et tant d'autres venaient d'émerger, Decapitated marqua son retour en 2002 avec un
Nihility fracassant confirmant tous les espoirs placés dans ces jeunes musiciens, qui avaient alors atteint le paroxysme de leur technique et composé leurs meilleurs morceaux. Un
The Negation décevant allait précipiter des changements de line-up, et le déclin d'intérêt du public envers le death polonais traduit par des Vader et Behemoth en roue libre et l'arrêt de Dies Irae, Devilyn, Yattering et Lost Soul. C'est donc vers un changement radical de style que s'est dirigé Decapitated avec un
Organic Hallucinosis sans Sauron, que j'érige pour ma part au panthéon des pires merdes innommables de la décennie, en même temps que des plus beaux « retournement de veste en mode girouette qui suit le sens du vent » de l'histoire. Autant que celle de Vitek, c'est la mort d'un groupe que je pleure, et toutes les tragédies qui peuvent être arrivées aux membres de Decapitated n'arriveront pas occulter la tristesse que je ressens depuis la disparition leur talent, en 2006.
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