Ce quatrième album de Drudkh propose un black metal à la fois mélodique et puissant, poursuivant la ligne tracée par
The Swan Road. On y retrouve l'alternance entre accalmies folk et rage épique, les textes de poètes ukrainiens chantés dans la langue natale du groupe et l'instrumentale concluant le disque. Les nouveautés sont à chercher du côté de la forte présence des soli techniques mais toujours au service de la musique, des quelques samples provenant du film « Mamay », ainsi que de certains moments presque progressifs, comme sur « Eternity » ou « When The Flames Turns To Ashes ». La production est naturelle, sèche et contrastée : douce dans les moments atmosphériques, dure quand la violence se fait sentir. Les mélodies se situent à la croisée des différentes créations du groupe : « Furrows Of Gods » possède la force de
The Swan Road, les mélodies entrainantes de
Autumn Aurora sont décelables sur « Eternity » et les mid-tempo qui fleurent bon la terre sous la pluie de
Forgotten Legends trouvent leur place sur « Solitude » et « When The Flames Turns To Ashes ». Les compositions sont labyrinthiques, les enchainements inattendus voire surprenants comme cette accélération soudaine sur « Solitude ». Si un album comme
Estrangement pèche par ses chansons semblant incomplètes,
Blood In Our Wells montre des ukrainiens orfèvres, polissant l'écrin sans trahir l'aspect brut du joyau.
Voilà pour la forme. Maintenant, passons à l'essentiel.
Je ne suis jamais allé en Ukraine et connais les pays de l'Est seulement par le peu de leur Histoire parvenu jusqu'à mon cerveau. Ce peu a été suffisant pour que je développe une image mentale de ce qu'ils peuvent être, un fantasme de contrée profondément nostalgique et décadent, des cultures autrefois riches et vivantes mais meurtries et en quête d'une identité que les différentes invasions (autrichienne ou soviétique pour donner des exemples) ont détruite.
A l'écoute de
Blood In Our Wells, j'ai l'impression d'avoir vu juste.
The Swan Road préfigurait une nouvelle direction, une musique moins portée sur la nature, allant vers une ambiance plus abstraite, historique. Cette vision dévoile tout son sens ici. « Furrows Of Gods » est une nation réclamant sa grandeur passée, forte d'une voix vengeresse d'une violence jusqu'alors inconnue chez Drudkh : une colère rentrée, sous-jacente, qui se dévoile au fur et à mesure et finit par porter autant d'émotions que les autres instruments. Ce qui étonne de prime abord, c'est le spleen qui se dégage des morceaux. Malgré une volonté de rester accessible sur des formats longs par la répétition tourbillonnante de thèmes, les ukrainiens nous sortent, non pas des passages, mais des monceaux entiers de tristesse. « Solitude » porte bien son nom tant l'exil déçu et l'introspection transpirent de ses guitares de plus en plus aériennes et mélancoliques. Drudkh développe alors une forme de romantisme dans son sens authentique : une poésie antimoderne, passéiste, une noblesse révolue contemplant un présent trop fade, trop vide. Pourtant, une forme de bonheur transparait, comme si en invoquant le temps des ancêtres, ces derniers montraient qu'ils étaient toujours là, dans les pierres. « Eternity » est une danse irrésistible qui calme la déchirure du final de « When The Flames Turns To Ashes » (cette batterie…). Ce sentiment d'assister à l'ultime révérence des anciens ne désemplit pas sur « Ukrainian Insurgent Army », appel aux armes qui en deux riffs t'empoigne à t'évanouir.
Drudkh a écrit ici sa déclaration d'amour à l'Ukraine : une passion déçue, en colère, presque de la haine pour cette ombre de pays. Le choc est rude. Personnellement j'ai du mal à reprendre une vie normale après l'écoute de cet album, malgré l'habitude qu'apportent les années. Aucun album n'a aussi bien retranscrit la nostalgie, ce souvenir contre lequel l'actuel pâlit.
Comme ces traces d'un ailleurs semblant plus vivant,
Blood In Our Wells restera.
Season Of Mist a réédité cette année cet album, ainsi que tous ceux sortis sur Supernal, à l'exception de Estrangement
. Au programme, un nouvel artwork respectant l'essence de la musique (et sans ce logo immonde qui caractérise les sorties Supernal de Drudkh), ainsi qu'une production remasterisée permettant de mieux profiter des différents instruments, surtout la basse. La version originale étant difficilement trouvable de nos jours à un bon prix, vous savez ce qu'il vous reste à faire pour acquérir ce disque.
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