Il y a beaucoup de choses que j'aimerais faire différemment si j'avais l'occasion de revenir dans le passé, par exemple en lestant un peu plus ce foutu sac plastique (qui aurait cru que les eaux de la Vologne avaient une telle densité ?). Et si je le pouvais, j'écrirais différemment la chronique de
Ruins, le dernier album d'
Artefact, tellement riche et ambitieux qu'il m'avait été difficile de le cerner autant que de le critiquer justement. Bon, ça ne change en rien mon avis qui reste d'actualité même trois ans après : trop d'accalmies, un clavier trop en avant, et une sous-utilisation des moments les plus mémorables sont un peu venu ternir ce qui restera un très bon album dans le paysage du black metal français mais qui aurait pu si facilement en être une pierre angulaire. Alors quand Aldébaran, tête pensante et principal compositeur du groupe, quittait un Artefact qui s'engageait du coup dans une voie totalement différente, et fondait Darkenhöld, je me suis dit qu'il fallait que je surveille de très près ce projet ouvertement plus orienté vers le black traditionnel de la fin des années 90, qui reste à mon sens la période la plus intéressante du genre.
Même avec cette volonté de verser dans une frange plus classique du black metal et donc plus en adéquation avec mes goûts de chroniqueur pointilleux, j'avoue avoir appréhendé le résultat final. Allait-on avoir droit à ces breaks thrashy un peu sages qui font drastiquement chuter l'intensité des compositions, à un clavier trop sirupeux, ou à d'autres gimmicks dans l'écriture d'Aldébaran qui composent à mon sens les quelques défauts de ses précédentes réalisations ? Et bien non,
A Passage To The Towers tient toutes ses promesses et s'avère réellement être dans l'esprit des années 90, avec ce qu'il faut d'intensité et de mélodies épiques pour scotcher n'importe quel nostalgique de cette époque révolue à son fauteuil.
À peine passée la superbe introduction toute en chœurs « A Passage… », c'est un « Ghouls And The Tower » formidable de bout en bout, depuis son refrain épique jusqu'à son apogée en chœurs suivie d'un solo extrêmement juste, qui achève de nous convaincre que l'on tient là un album à la fois respectueux des codes du genre tout en étant multi-dimensionnel et en demeurant, malgré tout, d'une indéniable originalité. Si les solos toujours aussi chantants et lumineux d'Aldébaran, avec son jeu bourré d'accents et son son très chaud, tranchent singulièrement avec les canons du genre, on ne sera jamais étonné de l'empreinte reconnaissable entre mille qu'il imprime à cette base archi-classique, la rendant incroyablement personnelle et intemporelle. Tous les fans d'Artefact, et en particulier de
Ruins devraient en effet se ruer sur
A Passage To The Towers, qui en assimile toutes les qualités sans jamais n'en paraître qu'une suite ou un version plus « intègre » : c'est une optique à part, pas forcément plus aboutie, mais à mon sens plus cohérente, qui ne se disperse pas et conserve son énergie intacte de la première à la dernière seconde. Si le style du groupe, et en particulier son bagage mélodique hors norme, évoque beaucoup la scène suédoise de la seconde moitié des années 90, on pense aussi très souvent à
Hegemon, ce qui vous vous en doutez n'est pas un mince compliment de ma part vu l'admiration que j'ai déjà claironné envers ces autres sudistes dans ces colonnes. On retrouve chez Darkenhöld ce même sens de la mélodie imparable, cette énergie omniprésente, ce sens de la composition évolutive qui même lorsqu'elle calme le jeu ne tombe jamais dans la facilité et encore moins dans le simplisme. Certains passages plus contemplatifs évoquent tour à tour d'autres excellents groupes français, que ce soit
Angmar dans l'utilisation des chœurs, très présents tout au long de l'album, ou les meilleurs heures de
Blut Aus Nord sur « Crimson Legions », avec son clavier très tranchant et son riff principal qui s'efface en fade out pour n'en laisser que la structure jouée à la guitare acoustique.
Et en plus de cette fraîcheur dans la composition,
A Passage To The Towers est également d'une justesse à toute épreuve, les riffs de guitare harmonisés, tous plus sublimes les uns que les autres, s'enchaînant parfaitement avec des breaks en arpèges ou au contraire un peu plus rentre-dedans, comme ce riff très direct presque thrash au milieu de « Crimson Legions ». Mélodies mémorables donc, qui reposent quasi-exclusivement sur le travail du duo de guitares, malgré quelques timides mais remarquables incursions de la basse et du clavier au détour d'un refrain ou d'une outro ; ce qui me permet d'évoquer une autre grande force de Darkenhöld : la parfaite utilisation du clavier. Que tous les allergiques au black symphonique tels que moi se réjouissent, c'est une utilisation parfaitement juste et discrète de cet instrument si délicat à incorporer au black metal qui est faite ici, presque uniquement en tant qu'instrument d'appoint, ne venant jamais dérober aux guitares le rôle de créer la mélodie, mais en restant constamment en arrière plan pour créer « une ambiance de fond », à la manière des deux premiers albums de
The Legion (même si les styles pratiqués sont bien entendus diamétralement opposés). Malgré l'influence évidente d'
Emperor sur Aldébaran, il a donc su résister à la tentation de faire jouer un rôle plus important au clavier, et est même allé jusqu'à le sous-mixer très habilement, en ne nuisant pas à l'équilibre de la production là encore quasi-parfaite de l'album, bien que certains risquent de la trouver un peu trop propre à leur goût. Au rang des satisfactions on citera également les excellentes lignes de chant, que ce soient les vocaux black metal de Cervantes ou les chœurs assurés par Aldébaran, et le jeu de batterie de Aboth qui est à l'image de cet album : sans esbroufe ni volonté de faire une démonstration, mais subtil, varié, inventif et juste, soutenant à la perfection aussi bien les accalmies que les moments forts.
On peut évidemment chercher à pinailler en pointant des défauts aussi maigres qu'ils sont peu nombreux, histoire de noircir quelque peu ce tableau idyllique. Il est ainsi un peu dommage que l'on doive se contenter d'une basse qui, malgré un travail déjà fort appréciable, se cantonne à son rôle purement rythmique avec de timides envolées pour ponctuer une phrase mélodique, comme sur « Marble Bestiary », alors que la production la rend perpétuellement discernable. Une basse un poil plus indépendante, à l'image du titre « Darkenhöld », serait un plus incontestable et aisément réalisable vu le niveau des musiciens et l'aisance de composition d'Aldébaran, qui trahit là son statut de guitariste avant celui de bassiste. Même si elle est déjà plus élaborée que dans l'écrasante majorité des groupes de black metal, c'est un point sur lequel un groupe comme Hegemon réussit à apporter encore un peu plus de richesse à sa musique et qui permettrait à Darkenhöld d'atteindre de vrais sommets. L'autre point négatif est la résurgence heureusement ponctuelle d'un travers du compositeur principal, puisque le break à la deuxième minute de « Darkenhöld » pourrait paraître venir de
Ruins tellement il est typique d'Artefact, venant justement à mon sens apaiser un peu trop un morceau dont les autres riffs sont absolument excellents. Ces quelques défauts sont bien vite balayés par l'incroyable qualité globale de
A Passage To The Towers, qui de la première à la dernière seconde – et même surtout à la dernière seconde, puisque « Sorcery » est sans aucun doute le meilleur morceau de l'album, un pur chef d'œuvre – transporte l'auditeur dans un univers musical original, cohérent et absolument délectable.
Évidemment, à l'heure où le black metal se fait de plus en plus épuré, se teinte de rock miteux et fait oublier sa vacuité mélodique par un décorum outrancier particulièrement grotesque, bref, fait dans le sensationnalisme au détriment de la qualité musicale, Darkenhöld ne risque pas de devenir un groupe de black metal à succès populaire. Du moins pas encore. Parce que si vous n'aimez pas l'inventivité ces mélodies harmonisées, l'efficacité de ces riffs et la beauté de ces arpèges, c'est que vous aimez moins le black metal que la mode. Bien qu'il eût sans problème pu sortir entre
Les Blessures de l'Âme et
Chaos Supreme, devenant ainsi un fleuron de la scène black française,
A Passage To The Towers ne fait pas non plus tache à l'heure des
Angmar,
Belenos et autres
Hegemon, et ce même si certaines influences de Darkenhöld ont depuis longtemps rendu les armes. Car ce nouveau groupe français vient de sortir un album de cette trempe-là, un album intemporel, qui ne prendra pas une ride avec le temps et sera toujours aussi excellent dans dix ou quinze ans, quand la mode sera au black metal disco ou au black metal tecktonik.
A Passage To The Towers est donc sans problème mon album de black metal de l'année en ces temps où la concurrence se fait rare, mais il est bien plus que ça, il est le black metal tel qu'il fût, mais surtout le black metal tel qu'il aurait du rester : inventif, riche et intelligent.
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo