L’histoire du véritable premier album de Morbid Angel, tout le monde la connaît. Cependant, dans un souci de clarté et parce que tous nos lecteurs ne sont pas forcément de vieux briscards ayant fait leurs armes à la lecture des fanzines et magazines d’époque, on va quand même s’attarder sur l’origine de la formation floridienne et les raisons qui l'ont poussé à l’époque à remiser cet album pendant quelques années.
Formé en 1983 par George Michel Emmanuel III (aka Trey Azagthoth) et Mike Browning (futur Nocturnus) alors que les deux garçons étaient encore au lycée, Morbid Angel va dans un premier temps jouer les groupes de reprises (Angel Witch, Judas Priest, Mercyful Fate, Scorpions, Slayer…) sous le nom de Ice. Après un rapide passage chez Death Watch, une formation floridienne aussi éphémère qu’obscure qui d’ailleurs n’est même pas référencée sur Metal Archives, Trey et Mike vont alors rapidement reprendre du service. D’abord sous le nom d’Heretic puis sous celui de Morbid Angel. Durant ses premières années, la formation va également voir passer un certain nombre d’éléments dans ses effectifs. Chanteurs, bassistes et guitaristes vont ainsi se succéder jusqu’à ce que le line-up finisse enfin par se stabiliser en 1985 avec l’arrivée de Richard Brunelle à la seconde guitare et John Ortega à la basse. Quelques mois plus tard, le groupe est contacté par un certain David Vincent originaire de Caroline du Nord. Ce dernier propose à Morbid Angel de produire et financer leur premier album mais également de le sortir sur son propre label, Goreque Records. Une offre alléchante que le groupe de Tampa acceptera évidemment sans hésiter. Malheureusement, peu satisfait du résultat et alors que le groupe se délite à la suite d’histoires internes voyant les départs successifs de Mike Browning et John Ortega, Trey Azagthoth décide de ne pas sortir cet album. Il faudra attendre 1991 pour que Morbid Angel se décide (probablement avec l’insistance d’Earache Records) à le dépoussiérer de ses étagères afin d’en finir avec tous ces bootlegs sur lesquels le groupe et son label n’ont jamais empoché un seul dollar...
Enregistré aux Central Recording Studios de Charlotte en avril 1986,
Abominations Of Desolation est composé pour la grande majorité de titres réinterprétés et réenregistrés (et parfois même rebaptisés) plus tard par Morbid Angel sur les albums
Altars Of Madness ("Chapel Of Ghouls", "Lord Of All Fevers" ("Lord Of All Fevers & Plague") et "Welcome To Hell" ("Evil Spells")),
Blessed Are The Sick ("Unholy Blasphemies", "Abominations" et "Azagthoth" ("The Ancient Ones")),
Covenant ("Angel Of Disease") et
Formulas Fatal To The Flesh ("Hell Spawn" ("Hellspawn: The Rebirth")). Seul "Demon Seed" fait ici figure d’exception puisque celui-ci n’a encore jamais été repris par le groupe. Nous sommes donc ici en terrain archi-connu...
Pour autant, et même si effectivement ce statut de premier album a été largement désavoué par Trey qui en parlera plus tard comme une collection de démos et rien d’autre, je trouve ce
Abominations Of Desolation particulièrement incroyable. Imaginez accoucher d’un disque de cette trempe en 1986, quelques mois seulement après la sortie de
Seven Churches considéré comme le premier album de Death Metal et aux accents Thrash bien plus évidents ? Si ces titres seront en effet perfectionnés à bien des niveaux quelques années plus tard, ils n’en restent pas moins pour l’époque (et même encore aujourd’hui) particulièrement solides et convaincants. Certes, ces morceaux revêtent effectivement un caractère plus bancal et approximatif comparés aux versions qui suivront et que nous connaissons tous (on sent bien en effet que le niveau technique, la fluidité et l’agencement de certaines structures ainsi que l’intensité ne sont pas tout à fait les mêmes). Certes la production n’est pas ce que l’on a entendu de mieux dans le genre (il est vrai que l’on peine quand même à distinguer la guitare rythmique, que leur répartition dans l’espace n’est pas forcément des plus heureuses, que la basse figure aux abonnés absents et que la batterie semble tout de même un brin maigrelette). Certes les atmosphères qui s’en dégagent paraissent effectivement moins effrayantes, diaboliques et étouffantes que sur un
Blessed Are The Sick ou un
Covenant mais encore une fois, pour l’époque (il faut quand même garder en tête les coûts élevés d’un passage en studio, l’absence quasi-totale de producteur et d’ingénieurs du son capable de coucher sur bande ce genre de musique considérée comme du bruit et rien d’autre par beaucoup et le jeune âge de ces quatre garçons frais émoulus...). Mais justement, ce sont toutes ces imperfections qui donnent autant de charme à ce premier album. Ce côté brut de décoffrage sur des morceaux que l’on connaît sur le bout des doigts, ce côté bancale qui transpire l’urgence et le manque d’expérience des débuts... Ça et bien évidemment le chant un poil moins profond et plus arraché de Mike Browning qui tranche assez nettement avec celui de David Vincent sans pour autant faire tâche une seule seconde.
Alors oui, en sortant en 1991, quelques mois seulement après
Blessed Are The Sick, difficile de trouver un réel intérêt à ce disque qui devait effectivement davantage faire figure de compilation (plus ou moins opportuniste) que d’album à part entière. Mais qu’on le considère comme l’un ou l’autre, on ne peut décemment pas rester insensible - notamment en replaçant ces titres dans leur contexte d’origine mais aussi tout simplement parce que ces morceaux déboitent - à l’écoute de ce qui aurait dû être une sacrée putain de secousse si elle avait eu lieu comme prévue en 1986. Pour autant, difficile lorsque l’on écoute
Altars Of Madness de ne pas donner raison à Trey Azaghtoth concernant ce choix audacieux de faire l’impasse sur une telle sortie dans l’idée d’accoucher quelques années plus tard d’un premier album évidemment bien plus abouti.
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