Parmi les disques de Hardcore que j’ai le plus écoutés dans ma vie,
State Of The World Address figure sans aucun doute dans le peloton de tête en compagnie des premiers albums de Madball, Merauder, Kickback, All Out War, Hatebreed et à peu près tous ceux du H-8000 Crew. Acheté en cassette à l’époque de sa sortie, je me revois encore enchaîner les écoutes comme si j’avais mis le doigt sur quelque chose d’absolument unique. Autant vous dire que la fonction auto-reverse de mon Walkman Sony m’aura été particulièrement vitale, m’évitant ainsi bien du temps perdu en changements de face inutiles...
Enregistré en 1993 à Los Angeles sous la houlette du producteur Ed Stasium (The Ramones, Talking Heads, Living Colour, Motörhead, The Misfits...), ce troisième album voit le jour en mai 1994 non pas sur Roadrunner Records mais sur Warner Bros qui après le succès international de l’excellent
Urban Discipline a vite compris qu’il y avait effectivement du potentiel chez les New-Yorkais et surtout quelques dollars à se faire dans l’affaire. Un coup de maitre pour cette major puisque
State Of The World Address est encore à ce jour l’album le plus iconique de Biohazard et celui qui en effet a rencontré le plus de succès, dépassant la barre du million d’albums écoulés.
L’une des premières raisons à ce statut d’album culte est certainement à chercher du côté de cet artwork sur lequel on y voit là encore (et oui, souvenez-vous de son prédécesseur) un enfant dont l’innocence et l’insouciance ont une fois de plus été balayées d’un revers de main par un élément complètement hors de propos, ici ce fameux masque à gaz qui suggère en effet que la situation est un petit peu plus tendue que la gestuelle joueuse de l’enfant ne le laisse paraître. Un cliché qui traduit l’état d’esprit des quatre Américains toujours très attachés à dépeindre avec leurs mots la misère sociale et la dure vie de quartier qui touche non pas seulement certains coins de Brooklyn mais comme le suggère le titre de ce troisième album le monde dans son entièreté. Bref, ce n’est toujours pas la franche rigolade...
Malgré le caractère iconique de cet artwork, la véritable raison de ce succès ce sont bien évidemment ces quatorze nouvelles compositions qui mises bout à bout avoisinent là encore les soixante minutes (tout comme
Urban Discipline). Une durée particulièrement conséquente pour un album estampillé New-York Hardcore mais qui pourtant n’a jamais été un handicap tant ce troisième long format fait preuve d’une grande et belle homogénéité. En effet, même si je lui ai toujours préféré sa première moitié (grosso modo jusqu’à "Five Blocks To The Subway") pour tout un tas de raisons tout à fait subjectives (à commencer par le fait que tous les clips diffusés à l’époque sur Best Of Trash sont issus de celle-ci), il faut bien se rendre à l’évidence qu’il n’y a absolument rien à jeter tout au long de cette petite heure. Une chose encore relativement rare aujourd’hui et qui mérite donc d’être soulignée... Aussi, passé ces quelques incontournables que sont rapidement devenus "Down For Life" (si comme moi vous avez poncé la vidéo Hoax 2, vous savez alors de quoi je parle), "What Makes Us Tick", "Tales From The Hard Side", "How It Is" (raaaaaah, ce clip, featuring Sean Dog de Cypress Hill, le mini kit de Danny Schuler calé entre deux planches espacées de 70cm, Billy Graziadei qui pète un plomb et arrache tout autour de lui, les "spin moves" de Bobby Hambel, les attitudes de bad boy face caméra... Bref, je ne m’en lasse toujours pas!) ou "Five Blocks To The Subway",
State Of The World Address réussi le coup d’éclat de ne jamais faiblir, enchaînant en guise de seconde partie des titres peut-être moins plébiscités mais pour autant tout aussi imparables. Comment ne pas succomber aux charmes de morceaux tels que "Each Day" et les leads impeccables de Bobby Hambel, "Failed Territory" et sa longue introduction acoustique, "Lack There Of" et son sample issu de l’excellent Reservoir Dog, "Pride" et ses élans Punk ultra efficaces, "Love Denied" et sa longue introduction mélodique menée au piano et à la guitare ? Non, franchement, tout confine ici à l’excellence, même ce trip Rap a capella dispensé en toute fin de parcours.
Restée inchangée, cette formule qui consiste à mélanger influences Thrash (le riffing sombre, les leads et solos...), Hardcore (l’attitude, le rythme, le groove, les choeurs bien virils...) et Rap (ce phrasé bien particulier, ces thèmes abordés, les samples, ces ambiances particulièrement concrètes qui puent le béton...) atteint ici une maturité telle que vingt-sept ans plus tard (putain, déjà !), ces quelques titres n’ont tout simplement pas pris une seule ride… Surtout, on reste saisi par ces atmosphères urbaines particulièrement sombres et désespérées (de "State Of The World Address" à "Down For Life" en passant par "What Makes Us Tick", "Tales From The Hard Side", "How It Is", "Remember", "Lack There Of" ou "Human Animal" on ne peut pas dire que cela respire la joie de vivre) qui vont nourrir un côté très dur et finalement hyper fataliste au Metal / Hardcore des New-Yorkais. Si tous ces samples, qu’ils soient issues du cinéma ou du quotidien (ces sirènes de police, ces bruits typiques du métro new-yorkais, cette femme que l’on agresse, etc) participent bien évidemment à l’immersion de l’auditeur, il faut également compter sur l’excellent travail mélodique de Bobby Hambel dont la qualité des leads et autres solos est évidement à souligner ("State Of The World Address" à 0:42 et 1:32, "Down For Life" à 2:12, "Tales From The Hardside" à 4:32, l’entame hyper sombre de "How It Is", "Remember" à 1:51) tout comme évidemment la qualité globale de tous ces riffs aussi efficaces que redoutables imaginés par la paire Hambel/Graziadei (comme je le disais plus haut, il n’y a ici pour moi aucun déchet) ou bien encore ces quelques arrangements particulièrement bien sentis qui, là encore, participent grandement à la qualité de ce troisième album (le piano de "What Makes Us Tick", cette guitare acoustique sur "Failed Territory", ce piano encore sur "Love Denied").
Album charnière dans la carrière de Biohazard,
State Of The World Address marque une étape importante dans l’histoire des New-Yorkais et signe également la fin d’une époque puisqu’il s’agit en effet du dernier album du groupe avec le guitariste Bobby Hambel avant que celui-ci ne réintègre les rangs de la formation dix-sept ans plus tard pour la sortie de
Reborn In Defiance. C’est aussi malheureusement le début du déclin pour le groupe de Brooklyn qui après un
Mata Leão pour le moins surprenant dans son approche ultra Punk (et finalement plutôt chouette passé l’effet de surprise) ne réussira plus jamais à susciter le même intérêt de la part des auditeurs pourtant jusque-là largement conquis par les précédents albums de la formation. En attendant, si beaucoup semblent lui préférer
Urban Discipline,
State Of The World Address reste pour moi le meilleur album de Biohazard que le groupe ait jamais composé. Entre ces quatorze compositions toutes plus efficaces et mémorables les unes que les autres, cette homogénéité de tous les instants, ces ambiances sombres et désespérées particulièrement saisissantes, ce groove viril et urbain, ce côté bad boy/ghetto assumé... Il y avait tout là-dedans pour séduire l’adolescent de quatorze ans que j’étais en quête de musique extrême et urbaine. Bref, l’un de ces disques un peu doudou qui quoi qu’il arrive ne me quittera sûrement jamais.
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