Immortal - War Against All
Chronique
Immortal War Against All
L’arrivée dans les bacs d’un nouvel album d’Immortal aurait de quoi émouvoir. 32 ans de carrière, pionnier d’un style, des albums fondateurs (Diabolical Fullmoon Mysticism, Pure Holocaust, Battles in the North), d’autres moins, à compter du pauvre At the heart of Winter, que je dois être l’un des seuls à trouver d’une faiblesse insigne, des heurts, des séparations qui rendirent les retrouvailles plus émouvantes encore et, finalement, une carrière marquée par un avant (le groupe et le son d’origine, les premiers albums jusqu’à Blizzard Beast), un milieu (le groupe d’origine mais un son nouveau, une orientation différente à compter de At the Heart of Winter jusqu’à All Shall Fall disons) et un après qui est notre maintenant (le seul Demonaz aux commandes et des tentatives de retour aux sources depuis Northern Chaos Gods).
War against All s’inscrit totalement dans cette dernière tranche. L’album marque une volonté très claire de revenir à l’époque bénie de Battles in the North, dans le son comme dans les compos. Hélas, comme tu le sais, il est difficile d’être après avoir été. Retrouver un son, une atmosphère, un parfum d’il y a 30 ans est une mission vaine. L’atmosphère se capture, elle est unique, elle est liée à un temps, un lieu, un souvenir, un état d’esprit. Vouloir la remodeler artificiellement trois décennies plus tard est une chimère.
War against All court après cette ambiance 90’. Les efforts sont réels et, disons-le, plutôt réussis dans l’idée. War against All, morceau éponyme, et Thunders of Darkness déboulent sans préavis, comme à l’époque de Battles, en accrochant directement l’oreille de riffs acérés et d’une batterie épileptique martelant sa colère. Ces fameux riffs étirés et tranchants, tout un paradoxe, qui ont fondé la patte Immortal sont là et bien là. Même la voix de Demonaz te fournit l’occasion d’un petit voyage dans la Norvège BM de 1995. Les soli, qui transpercent War Against All tels un pont central, se retrouvent à l’identique, dans le même chaos sonore étouffant qui simule un blizzard surnaturel. Les riffs tournoyant de Thunders of Darkness et No Sun sont proprement ébouriffants même si l’évolution de ces titres aurait mérité d’être plus extrême. Wargod et son mid-tempo plus proche de la seconde période d’Immortal brise déjà un peu la dynamique qui s’était installée en portant davantage son propos sur le heavy et en développant un groove rock n’ roll que, personnellement, je trouve inapproprié pour le groupe.
C’est là, précisément, que mon avis se durcit. Ce phrasé rock, groove sied particulièrement mal à un groupe qui a fondé son style et sa patte sur l’agression pure et les atmosphères guerrières et glaciales. Wargod tente bien le pont central piqué à Blashyrk mais sans un tiers de la puissance de ce dernier et surtout relance via des riffs relativement mainstream pour le style. C’est agréable, ça s’écoute gentiment mais ça reste du BM pour ceux qui n’aiment pas le BM. C’est terrible pour moi de dire ça mais c’est un ressenti très puissant. No Sun et Return to Cold en sont d’autres exemples frappant : un départ prometteur puis, très rapidement, on arrête tout et on enchaîne sur un mid-tempo au riffing très classique, très accessible. De nouveau, les compos sont chouettes – on parle d’Immortal tout de même – les idées sont présentes mais le tout ronronne assez tranquillement. Il n’y a plus l’urgence, la noirceur et le chaos qui faisaient l’aura du groupe norvégien. Piquer des riffs à Battles – sur Return to Cold, c’est encore flagrant – n’est pas en soi condamnable mais pour les traiter à l’homéopathie, mieux eut valu les laisser où ils étaient.
Les trois derniers titres renouent eux aussi avec le passé, du moins formellement. Nordlandihr, Immortal et Blashyrkh My Throne annoncent la couleur. Le premier nommé démarre de nouveau sur un beau riffing mais vite gâché par une mélodie assez malvenue, bateau et inappropriée, qui gâte le rythme et déstabilise la dynamique. Assez mainstream encore, elle ne cadre pas avec le riffing de départ et rend le morceau inoffensif. S’agissant d’un instrumental, tu comprends la difficulté car même le solo en pont central – joli – ne rattrape pas l’affaire. Immortal tente de donner le change en reprenant exactement les phrasés musicaux de Battles in the North, de l’agression de départ au riffing épileptique en passant par la décélération puissante qui n’entrave en rien le rythme global. Il aura donc fallu attendre l’avant-dernier titre pour avoir une vision de ce qu’aurait pu être cet album. Un peu tard, hélas. Blashyrkh My Throne reprend les codes de ce titre phare à l’identique pour une grosse bouffée de nostalgie, avec ce son ample et profond qui caractérisait ce titre. C’est bien vu et très agréable, comme un shoot de souvenirs condensé. Mais je ne vais pas non plus te mentir : ce Blashyrkh là n’est qu’un lointain cousin de la puissance développée par le premier nommé.
Tu l’auras compris, je l’ai dit clairement, ce nouvel album d’Immortal tente de renouer avec ses racines, surtout avec Battles in the North mais comme déjà mentionné, il est très difficile d’être après avoir été. Bien des groupes connaissent cette problématique. Mais, en soi, ce n’est pas le plus délicat. Pour ma part, sauf exceptions qui montrent que le combo norvégien en a encore sous le pied, la plupart des morceaux de ce nouvel album plairont à ceux qui n’aiment pas le BM. Ou à ceux qui aiment le BM mainstream. Pour les autres, la déception risque d’être grande. War Against All est un album agréable, bien composé. Il plaira sans souci au plus grand nombre. Il ne devrait pas satisfaire les amateurs de ténèbres.
| Raziel 10 Juin 2023 - 2762 lectures |
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