"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" disait un certain Lavoisier. L'eau que nous buvons est la même que celle que buvaient les dinosaures, l'air que nous respirons le même que respiraient nos ancêtres, tout comme la musique que nous propose Anathema cette année est la même (à peu de choses près) que celle qu'écoutaient nos grands frères à notre âge. Démarche artistique plus ou moins contestable, probablement sans rapport avec une attitude écolo ou un principe de physique élémentaire, les Anglais prolongent l'exercice de recyclage entamée avec
"Hindsight" (2008) en remontant cette fois-ci aux origines de leur carrière, de l'EP "Crestfallen" (1992) au fameux
"The Silent Enigma" (1995). A la différence de l'approche acoustico-intimiste minimaliste de
"Hindsight", le groupe s'est ici entouré d'un ensemble de cordes composé de 26 musiciens, réinterprétant ces 9 compositions dans un registre plus symphonique, en conservant la classe légendaire qu'on leur connait.
Contrairement à ce que nous dit Kscope sur la page dédiée à cette sortie, je ne suis pas convaincu que "Falling Deeper" plaise autant aux anciens qu'aux nouveaux adeptes de leur musique tant ces réinterprétations s'inscrivent dans la continuité de leurs dernières productions. Rien à voir avec le doom/death des débuts et il serait donc vraiment étonnant de voir enfin réconciliés les déçus d'
"Eternity". N'ayant que des mauvais souvenirs de ma première rencontre avec Anathema il y a 10 ans (avec la compilation "Serenades/Crestfallen"), je ne crierai pas au blasphème mais cela ne m'étonnerait pas que d'autres soient moins indulgents, à l'instar de certaines réactions suscitées lors de la sortie de
"Hindsight".
Quelque soit le rendu des versions originales, "Falling Deeper" rassemble ces 9 pièces dans un tout uniforme dont la première écoute ne m'a évoqué qu'un seul mot : "grâce". Si
"We're Here Because We're Here" montrait quelques signes de mal-être, les Anglais ne nous servent ici que leur visage le plus apaisé à travers un rock atmosphérique subtile et éthéré, calme et contemplatif, respirant une paix intérieure que l'on entendait de temps en temps sur leurs dernières compositions. Pour renforcer cette sensation de quiétude, le groupe a gommé l'expression de sa douleur représenté par les chants de Vincent et Lee. Noyés dans un flot instrumental plus dense qu'à l'accoutumé avec l'intégration de l'orchestre, ils ne sont qu'une composante de plus, sans réelle valeur ajoutée ; les morceaux reposent en réalité sur le piano, les violons et les guitares aériennes de Dany, prenant à tour de rôle le devant de la scène. Finalement, seule Anneke van Giersbergen (ex-The Gathering), invitée d'honneur sur "Everwake" et "Alone", parvient à se faire une place sur ces 2 titres plus intimistes, justement les plus tristes de l'album.
Si vous êtes amoureux des premières heures du combo, ayez en tête qu'Anathema est allé bien plus loin que
"Hindsight" dans ses réinterprétations. La plupart du temps, le groupe n'a conservé qu'un air, qu'une mélodie en reconstruisant tout autour à tel point qu'on peine souvent à reconnaître les originaux, transformant au passage les atmosphères sombres et froides qui faisaient leur charme ("Sunset Of Age", "Crestfallen", "We The Gods"...). Même un morceau aussi calme que "J'ai Fait une Promesse" (un des seuls dont je me souvenais) est passé à la moulinette, le chant approximatif de la version 1992 (que je trouvais touchant) ayant été remplacé par un piano des plus conventionnels... D'une manière générale, "Falling Deeper" pêche un peu par excès de conventionnalisme : cette uniformité et ce manque d'aspérité le rend parfois ennuyeux, malgré son infini raffinement.
L'artwork offre une interprétation visuelle plutôt juste : simpliste au premier abord, il capte pourtant dans sa sobriété, ses couleurs et le fait d'être sous la surface, toute la beauté et l'errance de la musique, son universalité mêlée d'isolement. "Falling Deeper" n'est pas un album que l'on écoute pour tel ou tel titre mais pour son atmosphère. Il est un tout qui correspond à un état d'être, paisible et mélancolique, dans lequel vous vous retrouverez peut-être. Si sa légèreté fait qu'il n'aura jamais la place d'un véritable album d'Anathema (ou même celle d'un
"Hindsight" qui marquait plus les esprits), il n'est demeure pas moins une belle réussite face à l'ampleur du projet.
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