« Apex Predator – Easy Meat » ne m’avait pas plus. Pour la première fois depuis ma rencontre avec les Anglais, qui remonte tout de même à
« Harmony Corruption », l’écoute d’un album de NAPALM DEATH m’était inconfortable. Certes, j’y ai bien trouvé ça et là quelques motifs de satisfaction, surtout les titres les plus traditionnels mais globalement, j’ai été autant surpris que ses géniteurs par l’accueil triomphal reçu par un album, à mon sens, nettement moins abouti que la pierre angulaire « Utilitarian ».
Et tant qu’à parler d’albums fondateurs, tout le monde s’accordera à dire qu’il y en a eu au moins un,
« Scum », sorti en mai 1987 avec un line-up resté sans survivants. A ceux qui ont pris la relève, on leur a longtemps reproché d’égarer l’héritage grindcore au gré d’influences diverses, qu’il s’agisse de la vague death du début des années 90 ou de la tentation du frein à main généralisé sur la scène metal qui s’en est suivie. Ça a donné
« Fear, Emptiness, Despair » et surtout
« Diatribes » un album formidable auquel il n’a pas manqué grand-chose pour tutoyer les cimes, quand bien même NAPALM DEATH n’avait jamais pris autant de distances avec le genre qu’il a contribué à populariser
(« Inside The Torn Apart », quasi point de non-retour qui a abouti au départ de Barney l’espace de quelques mois).
On pourrait discuter longtemps du statut de chaque album du groupe sans parvenir à s’accorder mais néanmoins, soulignons ce qui m’apparait encore maintenant comme une profonde injustice : réduire l’influence d’un de mes groupes fétiches au seul
« Scum » quand la bande de Shane Embury a été capable d’envoyer des bombes du calibre de
« Enemy Of The Music Business », « The Code Is Red … Long Live The Code » ou encore « Utilitarian » à la face du monde. Une longue liste d’essentiels à laquelle j’adjoindrais
« Utopia Banished » et
« Diatribes », toujours, avec lequel ce 16ème album entretient pas mal de points communs.
La production déjà, toujours signée Russ Russell, d’une clarté évoquant le travail passé de Colin Richardson. Car si le contenu de « Joy » surpasse
« Diatribes » en termes d’intensité, rarement les salves purificatrices de Danny Herrera n’ont sonné de manière si intelligible. La forme ensuite, à travers les titres formant le cœur d’un « Throes Of Joy In The Jaws Of Defeatism » opérant la synthèse de tous les albums mentionnés plus haut. MORGOTH s’était viandé sur « Feel Sorry For The Fanatic » ? NAPALM DEATH fait la leçon aux Allemands avec « Amoral », un très grand titre sous perfusion de KILLING JOKE capitalisant sur la palette élargie de Barney derrière le micro. C’est si réussi qu’on aurait aimé les voir se risquer à faire bien plus, sous la forme d’un double album comme BLOOD DUSTER l’a tenté il y a une paye sur « Lyden Na ».
Fait d’arme isolé ? Loin s’en faut. Comme si ce qui restait de FEAR FACTORY en avait besoin, voilà que Shane leur colle la honte de leur vie sur ce qui est de loin le meilleur extrait de l’album : d’une violence insoutenable, « Invigorating Clutch » est ce que NAPALM DEATH a livré de plus férocement martial dans toute sa longue carrière ; une machine infernale sur laquelle Mark « Barney » Greenway donne absolument tout, son timbre de voix abrasif en diable contrastant à merveille avec l’efficacité clinique de Danny Herrera derrière le kit. Saisissante et terrifiante, elle est là l’usine à peur, la seule et l’unique !
Dans le même registre d’enfer post-industriel, « Joie De Ne Pas Vivre » est sans doute la moins réussie du lot, malgré les lignes de basse impeccables de Shane Embury. Qu'à cela ne tienne, NAPALM DEATH enfonçant le clou avec « A Bellyful Of Salt And Spleen », pas désignée par hasard comme porte étendard vidéo lors du lancement de la campagne promo. Qu’il est loin le temps où l’on s’excusait presque de goûter aux joies de l’indus en fin de tracklist avec « Morale » ou « Contemptuous » !
Au-delà de certains riffs hérités de leur atypique 6ème album (sur « Fuck The Factoid », « Backlash Just Because », « Acting In Gouged Faith » et « Zero Gravitas Chamber »), le dernier élément de comparaison avec
« Diatribes », concerne le format. Avec 12 titres, c’en est heureusement terminé des fins de programme à rallonge qui alourdissaient l’écoute de leurs dernières sorties. On portera d’autant plus d’attention aux titres les plus expérimentaux, habilement disséminés entre deux salves grindcore aux contours plus classiques. Classique, c’est d’ailleurs le principal reproche qu’on pourrait leur adresser à l’écoute de « That Curse Of Being In Thrall » (très
« Enemy Of The Music Business »), « Contagion » (le mid tempo brise-nuques, spécialité maison depuis … « Enemy ») ou encore le morceau titre. Du lourd qui tabasse donc, mais rien qui soit de nature à vraiment surprendre les habitués.
Que NAPALM DEATH puise dans son back catalogue sur les séquences les plus sauvages, c’est une évidence. Les temps les plus faibles sont d’ailleurs à chercher sur des titres comme « Acting In Gouged Faith » (déjà entendue 1000 fois), les chorus un peu trop prévisibles sur « Contagion » ou « Fluxing Of The Muscle », dont le démarrage un peu mou nuit à la dynamique globale. Ceci étant dit, l’aspect redite s’explique par la volonté du groupe d’opérer une synthèse entre les différentes composantes qui forment l’entité musicale ND. Et même s’ils sonnent de manière traditionnelle, les morceaux grind restant ont tous pour eux un riff (« Fuck The Factoid », qui emprunte à CRADLE OF FILTH), une idée ou un break qui font qu’on y revient avec plaisir : Danny annonçant la charge à venir à 1 :41 sur « Zero Gravitas Chamber », c’est le genre de madeleine de Proust qu’on ne saurait se refuser !
Quid de Mitch Harris ? Le grand absent, qui nous manque terriblement sur scène, est crédité sur 4 titres et assure la continuité stylistique des godfathers of grindcore. De dissonances en hurlements rageurs, de riffs torturés en lignes de basse éreintantes, NAPALM DEATH change donc un peu son fusil d’épaule sans pour autant tout chambouler. S’ils sortent vainqueurs de ce travail d’équilibriste à l’expérience et au talent (Barney livre une prestation exceptionnelle), j’aurais aimé les voir assumer pleinement cette approche jusqu’au bruitiste débouchant ici sur les meilleurs extraits. C’est la principale limite d’un « Throes Of Joy In The Jaws Of Defeatism » un peu trop vendu comme anticonformiste, là où les Anglais n’ont pu s’empêcher d’assurer leurs arrières grind en envoyant la sauce comme ils savent si bien le faire.
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