Deux ans après un éponyme en forme d’album de recentrage thrash, Jeff Waters sort l’artillerie lourde pour relancer une machine ronronnant un tant soit peu depuis l’excellent
« Schizo Deluxe ». Car aussi solide et rassurant que pouvait être
« Annihilator », on ne peut pas dire que sur ce coup-là, le binôme Padden/Waters ait donné dans la prise de risque maximale. Du bon gros riff par palettes et soixante-six soli au compteur, fans de thrash old school, au diapason ! Si ça suffisait à rattraper le coup d’un
« Metal » à la plastique hasardeuse, on n’allait tout de même pas ériger une statue à Jeff pour avoir juste assuré le minimum syndical. Un thrash pouvant en cacher un autre, c’est à un double programme que nous avons droit ici : outre un nouvel opus dont la cover évoque furieusement celle du formidable
« All For You », voilà que ANNIHILATOR se livre à son tour à l’exercice du réenregistrement des vieux classiques sur un « Re-Kill » compilant les meilleurs titres de la période 1989-2002. Bref, vous l’aurez deviné, entre la pression mise à Dave Padden pour singer les cinquante-six chanteurs précédents et un « Feast » en mode frappadingue, il y a matière à déblatérer.
Feast :
Sur
« All For You », Jeff Waters réussissait l’amalgame entre les différentes facettes de son inoxydable machine à riffs. A l’exception d’une ballade dispensable, ça fonctionnait du feu de dieu. Balladés entre classic-thrash (« Rage Absolute »), heavy speed (« Both Of Me ») et rythmiques au hachoir (« The Nightmare Factory »), on découvrait ANNIHILATOR sous un jour nouveau, plus seulement rétrograde mais également tourné vers l’avenir. Après s’être montré sous son jour le plus mélodique sur
« Metal » et avoir joué la sécurité deux ans plus tard, on comprend donc qu’il ait eu envie de remettre le couvert sur "Feast" sauf que, cette fois, le jeu des chaises musicales s’opère souvent au sein du même morceau ; prenez, par exemple, un titre comme « No Surrender » : sur la même piste dansent tour à tour metal indus (l’héritage du décrié
« Remains »), arpèges lugubres judicieusement placés pour enrayer la machine à riffs et démarrage groovy façon … RED HOT CHILI PEPPERS. Présenté comme ça, il y a de quoi prendre peur et se replier sur le mètre étalon
« Never, Neverland » mais en vérité, ça fonctionne à merveille pour ce qui reste un des meilleurs morceaux de ce « Feast » à géométrie variable. A cette excellente surprise, on rajoutera trois autres pépites au filon pourtant épuisé du thrash qui cogne dur : « No Way Out » tout d’abord, mid tempo martial surfant sur une vague de riffs proprement irrésistibles ; « Smear Campaign » ensuite, qui démarre gentiment avant de délivrer son irrésistible break heavy speed (trop court!), scream de Dave Padden à l’appui. Trois petites merveilles enchaînées à la suite, voilà qui augure du meilleur !
Pourtant, malgré un démarrage pied au plancher, il faudra ronger son frein jusqu’à la fin de l’album pour trouver trace de pareilles fulgurances. Si « Fight The World » compte en son sein le passage le plus meurtrier de ce 14ème opus, le jeu de contraste entre mélodies sirupeuses et reprises en main façon coup du lapin fonctionne bien mieux sur une « One Falls, Two Rise » pas loin d’être géniale : du refrain tire-larmes aux déferlantes thrash qui s’en suivent, il y a de quoi se réjouir après un passage à vide dont « Feast » a du mal à se remettre. La ballade « Perfect Angel Eyes » tout d’abord, pâle déclinaison d’une « In The Blood » dont déjà pas grand monde ne se souvient
(« King Of The Kill » ? Quelqu’un ?). Si bon nombre de formations hard rock/metal et assimilées ont toujours eu le nez creux en matière de nunucheries, prendre ses fans par les sentiments n’a jamais été le fort d’un ANNIHILATOR plus en place lorsqu’il varie les plaisirs au cœur d’un même morceau. Première tôle donc, à laquelle on est tenté de rajouter une « Wrapped » sur laquelle le guest Danko Jones se prend régulièrement les pieds dans le tapis. Au rayon rock n’roll, Waters a déjà été plus inspiré lorsqu’il singeait AC/DC sur « Nothing To Me » ou « Shallow Grave ». Un moment d’égarement (sauvons tout de même un bon riff passé 1 :50) malheureusement combiné à l’autre bouche trou de la galette. Et si le bon vieux thrash-metal reprend ses droits sur la speedée « Demon Code », c’est au prix d’une sensation de déjà entendu limitant l’impact du morceau en question.
Difficile de faire du neuf passé vingt cinq ans de carrière et pourtant, ANNIHILATOR s’y emploie en variant les plaisirs sur ce « Feast » auquel il ne manque finalement pas grand-chose pour prendre son envol. Si les casuals n’y verront que du feu, les habitués ne manqueront pas de se livrer à l’habituel jeu de piste en pointant du doigt le riff du break de « No Remorse » dès le démarrage de la sympathique « Deadlock », à laquelle il ne manque qu’un bon refrain pour totalement convaincre. Au rayon recyclage, on regrettera que « Demon Code » ne soit qu’une plaisante déclinaison de « Haunted » (sur
« Metal ») et que « Fight The World » soit frappée des mêmes scories que « Payback », soit deux breaks salvateurs noyés dans ce que je déteste le plus chez le ANNIHILATOR post-2001 : cette propension à durcir le ton en abusant du mid-tempo martial. Alors oui, on comprend bien que muscler son jeu a permis à Waters de prendre le train en marche vers une nouvelle génération de fans. Dommage qu’il sacrifie au passage tout ce qui faisait le charme de ses premières productions, se contentant de livrer ici des lignes mélodiques par trop simplistes et une approche plus désincarnée (les soli virent souvent à l’abstraction), plus froide et mécanique.
Re-Kill :
ANNIHILATOR réenregistrant la plupart de ses classiques, sur le papier, ça promettait pas mal, surtout avec un caméléon comme Padden derrière le micro. De ce point de vue là, « Re-Kill » ne déçoit pas, le chanteur de TERROR SYNDROME collant au plus près des versions d’origine. L’élaboration de la tracklist ne souffre elle non plus aucune contestation, Jeff proposant aux newbies un éclairage sur le meilleur de sa première partie de carrière. Après, le but de l’exercice consiste en général à dépoussiérer des classiques accusant le poids des ans et des productions vintage. ANNIHILATOR ayant toujours bénéficié d’un excellent son à compter de
« Set The World On Fire », ne restent plus que les deux premiers albums pour profiter à plein de l’opération relifting. Mais là encore, les remasters de Roadrunner viennent minorer l’impact du coup de boost « Re-Kill ».
Coup de boost ? Vraiment ? En vérité, Waters n’a pris aucun risque en réenregistrant à la note près les meilleures extraits de son riche répertoire. A l’exception de quelques notes perdues en cours de route sur les soli de « Bloodbath » et de l’abandon du « Fade-out » sur le final de « The Fun Palace » (regrettable), les seules modifications d’envergure concernent « W.T.Y.D. », dont on se demande bien pour quelles raisons Jeff a tenu à casser le rythme de la sorte. Pour le reste, pas de fautes de goût ou presque, même si l’on écartera volontiers la faiblarde « 21 » et une « Time Bomb » qui ne s’imposait pas vraiment. Au rayon avancées, « Ultra-Motion » est enfin délestée de la production infâme de
« Waking The Fury » mais ça n’en fait pas pour autant un classique. Plus réjouissante, la nouvelle version d’une « Stonewall » se payant le luxe d’être supérieure à l’originale, ne serait-ce grâce à l’appui de chœurs plus puissants. Bonne pioche !
Copies carbone des originales, les autres morceaux ne sont ni transfigurés, ni massacrés. Armés d’un bon best-of pour fainéants, on prendra beaucoup de plaisir à se remémorer les hits de
« Set The World On Fire », tout en regrettant que Waters n’ait pas preuve d’une plus grande ambition, notamment en s’offrant les services d’un excellent batteur (la place du mort chez ANNIHILATOR, comme pour MEGADETH). J’aurais bien aimé voir ce que John Tempesta, Paul Bostaph ou Gene Hoglan auraient apporté à un « Re-Kill » s’adressant avant tout aux plus jeunes fans du combo d’Ottawa.
Tout en se maintenant largement au dessus de la mêlée, ANNIHILATOR frustre un peu les fidèles en privilégiant la frange la plus jeune de ses suiveurs. On guettera sans doute en vain un retour au heavy thrash de papy dans les années à venir mais dans l'ensemble, reconnaissons que la qualité reste de mise sur un "Feast" bien plus intéressant que la compilation "Re-Kill" qui lui est rattachée. Recommandable donc, à défaut d'être incontournable!
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13/11/2013 13:56